Fab labs, makerspaces : un projet déjà en voie de normalisation ?

20 12 2014

Dernier billet de la série et conclusion. L’article complet est disponible dans le dernier numéro (n° 334, octobre 2014) de la Revue internationale de l’économie sociale (RECMA).

* * *

Si le modèle des fab labs et des makerspaces se répand, c’est qu’il séduit (en attirant aussi l’attention des médias, d’ailleurs). Mais, dans la phase actuelle, ce sont encore des espaces interstitiels, dans lesquels un nombre encore réduit d’acteurs est engagé dans des interactions plus ou moins régulières et plus ou moins organisées.

S’il apparaît porteur de potentialités socio-politiques, et pas seulement techniques, le développement des fab labs et makerspaces est toutefois aussi chargé en ambivalences. De tels lieux peuvent être effectivement des intermédiaires facilitant l’accès à la fabrication. Mais quand les grands acteurs industriels et publics manifestent un intérêt à leur égard, c’est souvent avec des schémas intellectuels qui les réinscrivent dans les mêmes logiques de développement économique que celles qui ont marqué la fin du XXe siècle (typiquement à la manière de l’appel à projets engagé sous l’égide du Ministère du Redressement productif). Les expérimentations sont donc aussi exposées à des formes de normalisation.

Le nouvel esprit du capitalismeAutre question importante : savoir qui finance et comment, car certaines modalités de financement (subventions, partenariats industriels / privés, facturation de services, etc.) peuvent notablement influencer les orientations adoptées et introduire des contraintes, contribuant ainsi à détourner des valeurs originelles. Un tel déplacement peut paraître d’autant plus aisé que, dans ces initiatives, le travail tend à être organisé sur le mode du « projet ». Des motivations qui pouvaient paraître émancipatrices peuvent en définitive se trouver elles aussi canalisées ou absorbées dans la « cité par projet » dont Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999) avait repéré le rôle dans l’installation d’un « nouvel esprit du capitalisme », ce qui peut augurer d’une facilité à s’insérer dans un système capitaliste en évolution et en recherche perpétuelle de voies d’adaptation. De fait, le modèle des fab labs permet aussi davantage de flexibilité dans la production et peut être récupéré et instrumentalisé par de grandes organisations industrielles, qui peuvent les exploiter comme des réservoirs (externalisés) non seulement de flexibilité, mais aussi de créativité et d’idées.

Qu’est-ce qui compte alors ? Peut-être pas tellement leur nombre (encore relativement faible), mais l’imaginaire qui est réouvert. Ces espaces portent potentiellement une évolution du rapport aux objets, aux machines, aux savoirs professionnels. Ils contribuent à installer une autre vision des cycles productifs. La production d’artefact ne paraît plus réservée aux usines ou à l’univers industriel, et les participants deviennent coproducteurs ou « prosommateurs » (à la fois producteurs et consommateurs)[1].

Cet accès à une fabrication plus locale est en outre porteur d’un changement du rapport au temps et à l’espace. Sur les deux derniers siècles, la logique industrielle a en effet aussi contribué à organiser non seulement les rythmes de vie et de travail, mais aussi les territoires. Cette logique était devenue une « dimension de la mondialisation », comme le rappelait le sociologue Anthony Giddens : « L’industrie moderne est intrinsèquement basée sur des divisions du travail, non seulement au niveau des tâches, mais aussi de la spécialisation régionale en fonction du type d’industrie, de savoir-faire, et de la production des matières premières » (Giddens, 1994, p. 82).

Avec l’émergence d’un nouveau type de système productif, la domination de l’ordre industriel paraît alors plus incertaine. Et s’il est possible de parler de « système technicien » (Cf. Ellul, 2004), ce dernier apparaît perméable à d’autres logiques que des logiques industrielles, voire laisse entrevoir une nouvelle trajectoire possible (à moins que ce ne soit un nouveau « front pionnier » d’un capitalisme toujours adaptatif, facilitant le développement d’un « agile manufacturing »[2]).

Ce qui s’avère également intéressant, ce n’est pas seulement ce qui est fait dans ces lieux (les productions), mais aussi comment cela est fait (les processus). Les participants mettent en œuvre une éthique (qui n’est pas sans rappeler l’éthique hacker, comme on l’a vu) articulant une série de valeurs, favorisant de fait l’échange et le partage. Dans l’esprit des makerspaces, l’enjeu n’est plus de posséder des moyens de production, mais d’y accéder.

Mais pour y faire quoi ? De nouveaux gadgets ? Le résultat dépendra de la dose de réflexivité qui sera appliquée à des pratiques multiples encore émergentes. D’autant qu’en effet, les technologies numériques ont aussi leur lot de contraintes et qu’en arrière-plan continuera à peser la problématique écologique (Cf. Flipo, Deltour, Dobré, Michot, 2012), avec également son incontournable lot de dépendances, spécialement par rapport aux approvisionnements en ressources matérielles.

________________________________________

[1] Cf. Beaudouin, 2011 ; Ritzer, Dean, Jurgenson, 2012.

[2] Pour un point de vue rapide sur cette notion et une remise en perspective historique, voir par exemple Mourtzis, Doukas, 2014.





Infrastructure productive distribuée et distanciation de l’ordre industriel

19 12 2014

Suite des billets précédents et troisième partie (3).

* * *

Une autre manière de questionner les potentialités des fab labs est de les replacer dans les transformations des systèmes productifs[1]. À travers ces ateliers de fabrication digitale, ce sont en effet aussi des réseaux socio-techniques qui se réorganisent et dont la portée est à appréhender sous l’angle des chaînes de relations qu’ils peuvent contribuer à reconfigurer[2].

Une forme de déconcentration de la production

Pour pouvoir réaliser des économies d’échelle, le modèle industriel a eu tendance à s’organiser autour d’unités productives de grande taille : il permet de faire fonctionner des équipements coûteux dans les mêmes sites, à partir desquels s’effectue ensuite une distribution sur de larges zones géographiques. Fabs labs et makerspsaces sortent de cette logique de concentration des moyens de production. Les unités sont effectivement plus petites, mais la prétention est de pouvoir fabriquer des biens équivalents ou presque. Dans des visions comme celle de Neil Gershenfeld, cette fabrication digitalisée et cet équipement productif miniaturisé vont évoluer au point de devenir aussi accessible et répandue que la micro-informatique.

Avec de telles machines ainsi adaptées, mobiliser de gros investissements paraît moins nécessaire, et trouver et/ou aménager des locaux pour les accueillir peut paraître moins compliqué. Les imprimantes 3D (en trois dimensions, sur le principe d’ajouts successifs de couches de matériau) incarnent notamment ce type d’espoir : grâce aux avancées dont elles ont bénéficié conjointement à leur environnement numérique, elles changent l’image des processus de fabrication, en ajoutant aussi tendanciellement celle d’une répartition plus large des capacités corrélatives (voir aussi Rumpala, 2013b). Au stade actuel, encore souvent celui de l’expérimentation et de la diffusion progressive, les modèles les plus accessibles servent certes plutôt à prototyper et produire de petits objets très basiques. Mais des communautés d’acteurs intéressés, pas forcément professionnelles, poursuivent les efforts pour améliorer leur précision et élargir la gamme des matériaux utilisables. Et, de fait, les fab labs jouent souvent un rôle de popularisation et de démonstration (voire de perfectionnement) des capacités de ces machines (rares sont ceux qui n’ont pas d’imprimante 3D ou qui n’ont pas intégré ce type de machine dans leurs projets).

Contournements des structures industrielles

Fab labs et makerspaces suscitent aussi un intérêt pour les besoins non pris en compte par les industries existantes. Leurs capacités de production (au sens large, puisqu’il peut s’agir aussi de réparation) peuvent être vues comme un moyen de réduire la dépendance à l’égard du système industriel dominant. Par la miniaturisation et la mise en commun des équipements, le coût d’entrée dans la fabrication est abaissé. Les productions et projets réalisés n’ont pas à chercher des débouchés puisqu’ils sont motivés par des besoins locaux. Contrairement aux productions destinées à des marchés de masse, celles des fab labs n’ont pas nécessairement besoin d’être standardisées. Neil Gershenfeld envisageait même que dans l’équipement des fab labs, la configuration de base puisse évoluer vers encore plus d’autonomie, avec des machines qui permettent de produire d’autres machines, jusqu’à pouvoir reconstituer l’équipement entier d’un fab lab : « This is not a static configuration; the intention over time is to replace parts of the fab lab with parts made in the fab lab, until eventually the labs themselves are self-reproducing » (Gershenfeld, 2007, p. 12).

Si ce type de logique est prolongé, au moins pour certaines productions, d’anciens circuits économiques peuvent donc se trouver contournés. Ces lieux, face aux structures industrielles, engagent à la fois dans une désintermédiation et une réintermédiation : ils se positionnent en fait comme de nouveaux intermédiaires, opérant à l’écart de logiques strictement professionnelles.

Dans certains fab labs, la conscience des ressources limitées de la planète amène aussi à essayer de contourner l’enjeu des difficultés d’accès aux matériaux en promouvant la récupération. Avec une telle logique, ces initiatives se rapprochent alors d’une « économie circulaire » ou d’une « économie de fonctionnalité », où une préoccupation est de pouvoir boucler les cycles d’utilisation des matières[3]. En Belgique, RElab, fab lab monté à Liège, affiche ainsi comme spécificité « l’utilisation de matériaux de récupération comme matière première et […] l’étude de nouveaux procédés sociaux, créatifs et économiques d’upcycling [façon de valoriser des déchets], en liaison avec les nouveaux moyens de fabrication et de communication numérique »[4]. Dans son « portfolio » de projets, le labfab de Rennes en propose un (« PLABS recycle », en référence à l’acrylonitrile butadiène styrène, un polymère thermoplastique) qui « prend les paris de transformer à moindre coût et à domicile les chutes en filament », utilisable donc pour de l’impression 3D[5].

illu-arduino-UNOLa rationalité économique est enfin différente, dans la mesure où les fab labs ne visent pas forcément des objectifs marchands. Ce qui est produit n’est pas nécessairement destiné à être mis en vente sur un marché et acheté par des « consommateurs ». En s’écartant des préoccupations de propriété, voire en les remettant en cause, ces activités prolongent aussi des affinités avec une « culture du don technologique »[6] qui a sous-tendu le développement des logiciels libres. Dans un rapport proche, la dynamique favorable à l’ouverture qui s’était développée dans le domaine des logiciels, sous la bannière de l’« open source », tend à s’élargir aux matériels, avec non seulement des initiatives qui poussent en ce sens mais aussi des projets qui visent à des réalisations concrètes (en électronique, la carte Arduino étant par exemple l’une des plus connues pour ses multiples applications possibles, utilitaires ou purement ludiques, intéressant donc de nombreux fab labs).

Déplacements dans l’appréhension du « travail »

Fab labs et makerspaces sont des lieux a priori non hiérarchisés, où s’agrègent des contributions volontaires. À la confluence du Do-It-Yourself et des échanges entre pairs, également dans une forme de prolongement de dispositions d’esprit communes dans le milieu hacker (Cf. Himanen, 2001), le fonctionnement des fab labs et des makerspaces laisse entrevoir une manière relativement originale de concevoir le travail (au moins par rapport à sa réification tendancielle et à sa réduction à un emploi fournissant une rémunération).

S’il y a du travail dans ces lieux, ce dernier n’y est pas envisagé de manière abstraite et parcellisée. Quand il s’agit de fabriquer un objet, celui-ci est le plus souvent envisagé de sa conception jusqu’à sa réalisation. Par contraste avec des formes industrielles qui ont pu être critiquées pour leurs tendances aliénantes, le travail réalisé (re)gagne du sens, dans la mesure où les membres des fab labs peuvent ainsi participer à l’ensemble d’un processus, y faire valoir leurs attentes et y insérer leurs idées. Pour ces participants, l’investissement personnel paraît pouvoir avoir un débouché tangible, à une échéance qui peut être certes plus ou moins longue. Les projets ne sont pas contraints par un temps imparti et chacun peut espérer pouvoir suivre le rythme qu’il souhaite.

À suivre…

_____________________________

[1] Sur ce concept, voir Carroué, 2013.

[2] Sur ce type de cadre d’analyse, voir Callon, 1991, et sur ses perfectionnements plus récents, Dicken, Kelly, Olds, Yeung, 2001.

[3] Nicolas Buclet (2014) met ainsi les fab labs dans le sixième et dernier type de sa typologie d’économie de fonctionnalité.

[4] http://relab.be/, consulté le 12 juin 2014.

[5] http://www.labfab.fr/portfolio/plabs-recycle/, consulté le 12 juin 2014.

[6] Pour reprendre l’expression et la perspective de Nicolas Oliveri, « Logiciel libre et open source : une culture du don technologique », Quaderni, n° 76, automne 2011, pp. 111-119. URL : www.cairn.info/revue-quaderni-2011-3-page-111.htm





Des ressources technologiques aux capacités sociopolitiques

18 12 2014

Suite et deuxième partie (2) des billets précédents sur les pratiques développées dans les fab labs et makerspaces.

* * *

Derrière la fascination diffuse pour les technologies de fabrication numérique, l’attention et les questions que peuvent susciter les fab labs tiennent aussi aux usages qu’ils semblent permettre. Les enjeux sont certes technologiques, mais surtout renvoient aux capacités qui peuvent être construites dans de tels espaces et aux formes de production qu’ils rendent possibles.


Une voie de réappropriation de la technologie

Un des arguments qui participe de l’attrait exercé par les fab labs est qu’ils permettraient d’exprimer, voire d’étendre, un potentiel de créativité plus ou moins latent, précisément en élargissant les capacités de fabrication à l’échelle de petits collectifs. Ces communautés cherchent la possibilité de développer leurs propres outils, concevoir leurs propres objets, en fonction de leurs besoins et de leur imagination.

Par la pratique et une assistance si nécessaire, ces espaces fonctionnent ainsi en favorisant une forme de réappropriation de certains outils. Dans un tel cadre, le rapport aux technologies peut être envisagé dans une logique plus conviviale, pour reprendre la perspective d’Ivan Illich[1], dans la mesure où elles sont rendues accessibles et maîtrisables, a priori sans discrimination de compétences, et où elles peuvent être plus proches des lieux de vie et des usages. Sur ce schéma, échoFab à Montréal lie par exemple accès aux technologies et autonomisation : « En transférant les activités de fabrication et de création au cœur des communautés, ses membres peuvent acquérir la maitrise des outils et diffuser les connaissances nécessaires à leur propre autonomisation. L’objectif de démocratisation technologique des Fab Labs vise aussi à accroitre l’accès aux technologies de fabrication pour favoriser la création »[2]. Avec ces initiatives peut donc devenir disponible un type d’espaces relativement nouveau où des individus peuvent exprimer des désirs créateurs, tout en conservant une appréhension et un contrôle de la finalité des technologies utilisées. Reconstruit, le rapport aux machines apparaît alors plus comme un rapport amateur que comme un rapport professionnel : d’un côté, le niveau d’exigence peut rester élevé, mais de l’autre, la liberté d’exploration et d’expérimentation est valorisée.

Apprendre en faisant et partager les connaissances

Outre cette possibilité de favoriser l’expression créative, l’état d’esprit qui imprègne les fab labs met aussi en avant la stimulation de l’apprentissage. Précisément, c’est par la pratique (la « bidouille » même, pour reprendre le terme qui y circule fréquemment) que l’apprentissage est souhaité, escompté et encouragé dans ce type de lieu. La dimension d’« éducation » est ainsi promue dans une des versions française de la charte des fab labs : « la formation dans le fab lab s’appuie sur des projets et l’apprentissage par les pairs ; vous devez prendre part à la capitalisation des connaissances et à l’instruction des autres utilisateurs »[3]. Il s’agit d’apprendre en faisant avec d’autres qui ont déjà appris dans le fab lab ou ailleurs (« Faire pour apprendre, non pas seul mais ensemble », comme le revendique par exemple le FacLab de l’Université de Cergy-Pontoise[4]).

« Open Bidouille Camp » est une initiative qui s’est développée sur ce type de principe, après une première expérimentation le 22 septembre 2012 à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). L’idée, mêlant la culture « open source », l’esprit du Do It Yourself, de la gratuité des échanges, la quête de réparabilité, sous forme d’ateliers thématiques, a été reconduite l’année suivante en février au Fac Lab de Gennevilliers et reprise depuis dans d’autres villes.

Derrière le propos technologique, la logique est donc aussi souvent celle de la capacitation. Certains fab labs portent en effet un discours qui peut rappeler celui de l’éducation populaire. Le projet de fab lab de Lannion, dans les Côtes-d’Armor, s’est constitué en affichant ce genre d’approche comme une de ses orientations constitutives : « Un des objectifs principaux du fablab est de donner accès aux citoyens aux connaissances et aux outils nécessaires pour comprendre comment un objet est fabriqué, comment il fonctionne, comment le modifier et comment le réparer. Bref : à se réapproprier des connaissances techniques peu accessibles au grand public »[5]. Le postulat courant dans ces projets est que les connaissances, même techniques, doivent circuler et qu’elles peuvent être partagées dans l’expérimentation en commun. Le rapport à la technique (de fait de plus en plus présente dans les environnements les plus quotidiens) et aux biens de consommation tend lui-même à devenir objet de questionnement, de sorte qu’il n’est plus simplement dans la passivité. D’où la valorisation de la dénomination de « makers » pour les personnes qui s’engagent dans ces activités : ils ne se contentent pas de consommer ; ils font. D’où aussi des formes de rapprochement avec l’éducation scientifique et technique en direction des jeunes générations, amenant conjointement des liens avec des réseaux associatifs (locaux ou plus larges) sur ce créneau, comme les « Petits Débrouillards » (par exemple sous forme de convention au fablab de Lannion).

Dans les activités, il n’y a pas d’assignation de rôles : celui qui a appris est invité à partager ses connaissances avec d’autres et à les accompagner dans leurs propres expérimentations. D’où le souhait également fréquent que ces lieux soient aussi propices aux rencontres : autrement dit, « [p]rivilégier l’interdisciplinarité et mettre en contact des personnes d’horizons différents », pour reprendre par exemple les termes avec lesquels sont présentées les valeurs du projet d’Artilect FabLab Toulouse[6].

Des possibilités nouvelles pour une production entre pairs et proche des territoires

Du point de vue des réalisations, le modèle est celui d’une production entre pairs où le produit n’est plus envisagé comme une « boîte noire ». Non seulement il s’agit de pouvoir en comprendre le fonctionnement, mais aussi de pouvoir le fabriquer sans être dépendant d’un processus industriel, lourd et donc inaccessible. Le rassemblement de machines et de compétences effectué dans ces lieux (re)donne des prises sur les processus de fabrication, (ré)introduit les participants dans des tâches que le système industriel avait opacifiées. Le rapport aux objets devient plus réflexif, notamment parce que les modalités de conception sont (ré)interrogées. Documenter les réalisations et surtout laisser ces informations en libre diffusion permet en outre de créer une forme de communs, avec des connaissances ou des expériences qui pourront ensuite être reprises par d’autres.

Vus sous cet angle, les fab labs et makerspaces peuvent devenir une pièce dans la reconquête de prises sur les conditions d’existence, précisément en offrant et en distribuant des capacités de production pour les artefacts constitutifs de la vie quotidienne. Bien sûr, il faut un nombre de participants suffisant, et surtout ayant une motivation suffisamment entretenue pour que ces organisations puissent fonctionner dans la durée.

Fab CityCertaines initiatives visent d’ailleurs à répandre ces lieux (qui sont aussi des lieux de sociabilité) dans les territoires. Soutenu par les autorités municipales, le projet du Fab Lab Barcelona a été élargi avec le souhait affiché d’installer des fab labs dans différents quartiers et de faire de la ville une « FabCity ». À Rennes, dans une inspiration proche, le projet situé au départ à l’Ecole européenne supérieure d’art de Bretagne est devenu celui d’un « Labfab étendu », devant permettre d’« infuser en réseau »[7]. Avec ces extensions, les fabs labs peuvent se présenter encore plus comme un moyen de ramener des outils et équipements technologiques sur des bases locales, dans un processus propre ensuite à renforcer des capacités pour aider à résoudre des problèmes également locaux, comme l’avait aussi envisagé Neil Gershenfeld : « And instead of bringing information technology (IT) to the masses, fab labs show that it’s possible to bring the tools for IT development, in order to develop and produce local technological solutions to local problems » (Gershenfeld, 2007, p. 13).

À suivre…

_________________________

[1] Pour lui : « L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. L’usage que chacun en fait n’empiète pas sur la liberté d’autrui d’en faire autant » (Illich, 1973, p. 45).

[2] http://www.echofab.org/612-2/ , consulté le 14 juin 2014.

[3] http://fablabinternational.org/fr/fab-lab/charte-des-fab-labs , consulté le 10 avril 2014.

[4] http://www.faclab.org/apprendre-en-faisant/, consulté le 12 juin 2014.

[5] http://fablab-lannion.org/le-projet/un-lieu-d-education-populaire/ , consulté le 12 juin 2014.

[6] « Qui somme-nous ? », http://www.artilect.fr/420-2/, consulté le 12 juin 2014.

[7] « Le Labfab désormais fablab étendu sur les quartiers de Rennes », http://www.labfab.fr/non-classe/lancement-du-labfab-etendu-sur-les-quartiers-de-rennes/ , consulté le 11 avril 2014.





Une nouvelle forme d’atelier en version « high-tech » ?

17 12 2014

Pour commencer à présenter les logiques de fonctionnement des fab labs et makerspaces, suite et première partie (1) annoncée dans le billet précédent.

* * *

Les espaces mis en service sont au croisement de logiques multiples et de différentes rationalités. L’attraction apparente vers les nouvelles technologies, celles liées à la fabrication spécialement, peut recouvrir des motivations diverses, qui ne sont justement pas réductibles à des enjeux technologiques.

Expérimentations émergentes

Les fab labs s’apparentent à des ateliers, mais se distinguent par les outils qu’ils utilisent (notamment des machines à commande numérique) et particulièrement par les qualités (voire les valeurs) mises en avant : à la différence du modèle de l’établissement industriel, ils sont conçus pour être ouverts, partagés, collaboratifs. Ils visent à permettre de concevoir, prototyper, fabriquer et tester les objets les plus divers (« presque tout », selon les promesses de Neil Gershenfeld[1]), avec un équipement de pointe mais accessible à un large public, plus large en tout cas que celui des professionnels déjà capables d’utiliser ce type d’équipement. Des machines potentiellement coûteuses (découpe laser, fraiseuse numérique, imprimante 3D, etc.), en plus du petit outillage complémentaire et de l’équipement informatique pour la CAO (conception assistée par ordinateur), sont mises à disposition pour un usage partagé (dans certains cas avec un « FabManager » qui assume la responsabilité de l’animation et de la coordination du lieu).

En principe, le label « fab lab » à proprement parler suppose l’acceptation d’une (courte) charte, qui garde l’empreinte du projet d’origine élaboré au MIT. La définition que donne la charte du MIT trace en effet presque déjà un projet collectif : « Les Fab Labs sont un réseau mondial de labs locaux, qui doppent (sic) l’inventivité en donnant accès à des outils de fabrication numérique ». En ajoutant aussi : « Les Fab Labs partagent le catalogue évolutif d’un noyau de capacités pour fabriquer (presque) n’importe quel objet, permettant aux personnes et aux projets d’être partagés »[2]. La dénomination « fab lab » a cependant été reprise largement en dehors de ce cadre et sans forcément faire référence à la filiation originelle. En fonction de la qualité des équipements proposés, et donc de leur coût (de quelques milliers de dollars ou d’euros à quelques centaines de milliers pour les plus gros fab labs), les configurations sont d’ailleurs variables et peuvent rendre les projets plus ou moins facilement réalisables. Les modèles d’organisation peuvent être également variés, selon leur orientation vers le secteur de l’enseignement, les entreprises ou le grand public (potentiellement même avec une orientation militante). Ces modèles laissent à chaque fois entrevoir des généalogies différenciées, mais aussi des intérêts et des valeurs encore hétérogènes. Fabien Eychenne (2012) avait tenté une typologie en distinguant trois types de fab labs. Ceux de types « éducationnel » sont plutôt reliés à des établissements d’enseignement, comme le Faclab de l’Université de Cergy-Pontoise, qui a même élaboré trois diplômes universitaires (DU) dans le prolongement du projet initial. Ceux de type « privé-business » traduisent plutôt les intérêts des entreprises qui en sont à l’origine, généralement dans une logique de soutien à l’innovation, comme le Creative People Lab du constructeur automobile Renault ou I2R (pour « incubateur d’innovation de rupture ») du département Énerbat de la R&D d’EDF. Ceux de type « grand public et pro amateurs » se veulent généralement ouverts sur l’environnement local et des usagers variés, qu’il s’agit d’intéresser aux formes plus personnelles de production, comme la Fabrique d’Objets Libres à Lyon qui se revendique comme un « laboratoire citoyen de fabrication ».

Quel que soit leur positionnement, ces lieux ont comme ambition commune d’élargir la diffusion des technologies de fabrication numérique, sous une forme de surcroît qui permette de rendre actifs les utilisateurs. Leurs projets, même s’ils peuvent être menés essentiellement par une seule personne, ne sont pas censés être réalisés de manière individualiste. Que ce soit pour réaliser des drones, des prothèses, ou tout objet plus ou moins utile, par exemple un appareil de mesure de la pollution atmosphérique intérieure comme au Nicelab, « laboratoire ouvert » de Nice, ou un « oreiller lumineux » comme au labfab de Rennes (pour « un réveil tout en douceur grâce à la luminothérapie »[3]), ces projets sont ainsi le produit de « communautés de pratique » (Wenger, 2005), dans lesquelles les participants se retrouvent dans un engagement mutuel et peuvent apprendre en partageant informations et compétences.

En France, des acteurs gouvernementaux ont marqué un intérêt pour cette dynamique apparemment montante, mais l’ont abordé sous un angle essentiellement économique. L’appel à projets « Aide au développement des ateliers de fabrication numérique », lancé en 2013 par la Direction Générale de la Compétitivité de l’Industrie et des Services du Ministère du Redressement productif, est resté aligné sur une vision fortement entrepreneuriale et soucieuse de débouchés économiques[4]. Sur les 154 dossiers déposés pour cette aide au financement de projets, 14 ont été sélectionnés, non sans polémique d’ailleurs dans une partie du milieu des fab labs à cause de l’opacité des critères de choix et une orientation jugée justement trop entrepreneuriale.

Au-delà du prisme de l’innovation

Par la mobilisation conjointe des énergies collaboratives et des ressources technologiques dérivées du « numérique », ces lieux expérimentaux peuvent véhiculer une logique d’innovation, mais paraissent aussi mettre en acte des réflexions et aspirations d’un courant d’auteurs qui avaient commencé, à partir des années 1960 et 1970, à compléter leur critique du modèle industriel par une esquisse de voies alternatives : Murray Bookchin (1974) sur la possibilité d’une « technologie libératrice », Ivan Illich (1973) sur la « convivialité » des outils, Fritz Schumacher (1978) sur les « technologies intermédiaires », André Gorz sur la défense de la sphère d’autonomie (Gollain, 2009), Ingmar Granstedt (2007 ; 2010) sur les outils « autonomes ».

C’est dans ce type de perspective et de filiation que fab labs et makerspaces pourraient représenter une forme de projet également politique, avec une tonalité presque émancipatrice. Au-delà de la rhétorique de l’innovation, ils semblent proposer une voie de réappropriation des outils et des activités de production. Ces ateliers visent des performances presque comparables aux équipements industriels, mais en gardant un positionnement proche de l’artisanat, qui peut ainsi être plus adapté aux désirs et besoins. Conçus de manière participative, les projets paraissent pouvoir devenir plus facilement appropriables par des populations plus ou moins proches.

Fab Lab HouseSur ce principe, une série de partenaires autour du Fab Lab Network et du Fab Lab Barcelona s’est par exemple lancée dans la conception et la fabrication d’une petite maison (Fab Lab House[5]) capable d’utiliser les ressources de son environnement (le soleil notamment) pour être auto-suffisante en énergie. Comme ce projet vise la collectivité la plus large, ses caractéristiques peuvent être récupérées sur un wiki (http://wiki.fablabbcn.org/Fab_Lab_House_Model) qui permet de retrouver spécifications et étapes de réalisation.

Les organisations qui s’expérimentent paraissent suffisamment flexibles pour être capables d’agréger de manière non sélective des contributions variées, tout en portant et en incarnant un modèle collaboratif. Mais l’analogie avec les coopératives ne fonctionne pas complètement, dans la mesure où les participations peuvent être plus fluides et où les projets ne sont pas forcément structurés par des besoins économiques précis. De fait, en France, lorsque le projet vise un public large, le statut associatif est plus souvent privilégié.

Ces expérimentations ont même commencé à s’agréger dans un mouvement qui ambitionne de s’étendre à une échelle mondiale. L’International Fab Lab Association prétend aider à promouvoir, organiser et structurer la communauté qui s’est développée[6]. Si le nombre d’implantations augmente notablement, une part de la population peut espérer accéder à de nouvelles capacités de production dans un environnement proche. L’inspirateur des fab labs, Neil Gershenfeld, a pu lui-même appuyer ce type de vision en lui donnant une portée extensive : « Ces laboratoires font partie d’un « mouvement maker » plus vaste et composé d’adeptes d’un do-it-yourself en version haute technologie, qui sont en train de démocratiser l’accès aux moyens modernes de fabriquer des choses » (Gershenfeld, 2012, p. 48, traduction personnelle). Il n’est pas seul à esquisser cette dynamique et il y a dans ces communautés une forme de conscience que certains ressorts déjà plus ou moins présents peuvent effectivement aider à renverser des dépendances.

À suivre…

________________________________________

[1] Voir par exemple Gershenfeld, 2012.

[2] Traduction en français consultée le 12 juin 2014 sur http://wiki.fablab.is/wiki/Fab_Charter/fr . Pour la version originale (car les traductions peuvent varier), voir « The Fab Charter », http://fab.cba.mit.edu/about/charter/

[3] http://www.labfab.fr/portfolio/oreiller-lumineux/, consulté le 12 juin 2014.

[4] « Les projets devront viser le développement économique des entreprises, et à ce titre devront proposer des services à destination des entreprises. Dans cette optique, les projets devront s’engager dans un travail de recherche d’une pérennité économique, et devront prévoir de définir et de tester un modèle économique impliquant les entreprises utilisatrices » (http://www.dgcis.gouv.fr/secteurs-professionnels/aide-au-developpement-des-ateliers-fabrication-numerique, consulté le 11 avril 2014).

[5] Un site lui est dédié : http://www.fablabhouse.com/en

[6] Cf. « Why we are here », http://www.fablabinternational.org/fab-association/why-we-are-here, consulté le 6 avril 2014.





« Fab labs », « makerspaces » : entre innovation et émancipation ? »

16 12 2014

Sous ce titre est récemment paru un article dans le dernier numéro (n° 334, octobre 2014) de la Revue internationale de l’économie sociale (RECMA).
Pour rendre accessible son contenu, je vais le reproduire en une série de cinq billets. En voici ci-dessous l’introduction, qui sera donc le premier billet.

* * *

Rattrapés par les enthousiasmes technophiles et l’idéologie entrepreneuriale, les fab labs (fabrication laboratories) pourraient facilement passer pour un nouvel avatar de l’économie de l’innovation[1]. Une espèce de variante des « start-up » ou la manifestation d’un esprit similaire. Ces lieux de fabrication et surtout d’expérimentation, à base de technologies numériques généralement, sont alors presque assimilés (voire réduits) à des incubateurs d’entreprises orientés vers les technologies innovantes. C’est une possibilité, mais parmi d’autres, notamment si on la replace dans une tendance au développement d’une multiplicité d’espaces plus ou moins communautaires visant à partager l’accès à des équipements sophistiqués à vocation productive, comme les makerspaces également, cet autre type de lieu permettant de se réunir et collaborer pour créer et fabriquer en commun.

Gershenfeld - Fab _ The Coming Revolution on Your DesktopInitialement, les fab labs sont certes des ateliers orientés vers les nouvelles technologies, mais conçus pour être accessibles à des non-professionnels : ils mettent à disposition des outils avancés, généralement plus facilement disponibles dans le monde industriel, afin que leurs utilisateurs puissent fabriquer leurs propres objets. L’idée, inspirée du travail du Professeur Neil Gershenfeld à la fin des années 1990 au Massachusetts Institute of Technology (MIT)[2], portée également par son laboratoire (le Center for Bits and Atoms), a été reprise dans de nombreux pays, et pas seulement ceux habituellement considérés comme étant les plus avancés techniquement, puisque des fab labs réputés sont aussi présents au Ghana et en Inde par exemple[3].

Le mouvement ainsi lancé a eu tendance à être absorbé par tout un discours emphatique allant jusqu’à annoncer une « nouvelle révolution industrielle »[4]. Mais fab labs et makerspaces (les dénominations diverses recouvrant en fait souvent des démarcations poreuses[5]) semblent révéler d’autres potentialités et peuvent aussi représenter une nouvelle forme, actualisée, d’ateliers communautaires ou d’ateliers de quartier. Un penseur critique comme André Gorz, dans ses dernières années, a défendu ce genre d’espoir, dans une forme de réactualisation et de promotion de « l’autoproduction communale coopérative »[6]. La formulation était encore dans le registre de l’hypothèse. Avec le développement notable de ces lieux, une telle hypothèse peut-elle trouver davantage de substance ? Plus précisément, fab labs et makerspaces peuvent-ils constituer un mode de production (si on les analyse par leurs débouchés) ou un système productif différent (si on les analyse par leur tissu organisationnel et leur inscription spatiale) ? Dans quelle mesure ? Même s’ils paraissent se situer à l’écart de l’ordre industriel, peuvent-ils l’affecter, le perturber ?

Les potentialités des fab labs semblent tenir à l’assemblage qu’ils réalisent[7] : des machines qui se rapprochent des standards professionnels, des modes de fonctionnement basés sur l’ouverture, des cadres relationnels propices aux échanges et à un apprentissage en commun. Comparés à l’ordre industriel, ces lieux laissent entrevoir des possibilités de reconfigurations multiples et interreliées, en l’occurrence dans le rapport :
– aux équipements et systèmes techniques ;
– au travail et aux fonctionnements organisationnels ;
– à l’espace et aux territoires ;
– aux objets et aux matières ;
– aux circuits économiques.

Pour mieux appréhender ces potentialités (dépendant donc des types d’acteurs qui s’agrègent aux projets, mais aussi des intérêts et valeurs qu’ils vont introduire et pousser, des utilisations et pratiques qu’ils vont promouvoir), la suite de l’article reviendra d’abord sur les caractéristiques de ces lieux et les promesses qu’ils paraissent ainsi porter[8] (1). On montrera ensuite en quoi ces espaces participent d’une redistribution de capacités, pas seulement techniques (2). Si un système productif paraît presque prendre forme à distance de l’ordre industriel, il s’agira enfin d’en évaluer les forces et les implications, y compris politiques (3).

À suivre donc…

___________________________

[1] Cf. « Les Fab Labs, l’avenir de l’innovation », L’Entreprise, 18/10/2013, http://lentreprise.lexpress.fr/conduite-de-projets/les-fab-labs-l-avenir-de-l-innovation_43717.html

[2] Pour une présentation et une remise en perspective du projet, voir Neil Gershenfeld, 2007.

[3] « Fab Wiki », le wiki de la « communauté » des fab labs, permet entre autres de suivre l’augmentation du nombre d’implantations (du moins celles enregistrées) à travers le monde (http://wiki.fablab.is/wiki/Portal:Labs). S’agissant de la France, 70 initiatives étaient recensées début août 2014, dont 25 « en développement » et 5 « en projet ».

[4] Parmi les textes influents, voir par exemple Anderson, 2012.

[5] On ne traitera pas ici des TechShops, qui sont une version proche, mais où, dans une logique commerciale, les usagers doivent payer pour l’utilisation des machines, souvent plus professionnelles, et les formations éventuelles.

[6] « Crise mondiale, décroissance et sortie du capitalisme », in Gorz, 2008, p. 121. Voir aussi les derniers passages de Gorz, 2007, p. 105-106.

[7] Sur l’intérêt d’une approche par les potentialités (« potentialisme technologique »), voir également Rumpala, 2013a.

[8] Cet article s’appuie sur une recherche en cours sur les processus d’expérimentation d’alternatives sociales à l’écart du marché et de l’État, les types d’activités originales qu’elles déploient et les formes d’affinités qu’elles peuvent trouver entre elles malgré leur diversité.





Conclusion : Conditions de libération des potentialités technologiques et devenir politique de l’impression 3D

28 09 2012

Suite et fin de la série de billets qui a tenté de proposer un regard politique sur les imprimantes 3D. À quelques ajustements près toujours possibles, c’est cet ensemble qui devrait donc être présenté le mois prochain à la conférence internationale « Materialism and World Politics ».

* * *

Les imprimantes 3D sont une preuve par l’exemple qu’il est possible de produire autrement. Autrement que de manière massive, centralisée, standardisée. Bien sûr, cette technologie n’est pas encore à un stade abouti, mais ce serait dommage de l’ignorer sous le prétexte de son devenir incertain, car elle pourrait bien avoir des effets à une plus large échelle que celle des expériences et bricolages dans lesquels paraissent pour l’instant encore largement ses concepteurs et ses utilisateurs. Les potentialités envisageables sont d’autant plus stimulantes à analyser qu’elles ravivent les questionnements sur les interrelations entre le technique et le politique, notamment sur la façon dont des avancées techniques peuvent étendre des capacités politiques.

Certes, les potentialités offertes ne sont pas encore actualisées, mais des trajectoires intéressantes sont discernables. En se développant, la technologie de l’impression 3D tend aussi à diffuser des valeurs, qui permettent effectivement, comme on l’a vu, de rallier une communauté. Ces valeurs contribuent à mettre en avant la créativité et la capacité à faire soi-même. Ces nouveaux outils semblent amener de nouveaux modes de production et consommation, et donc potentiellement des rapports différents aux marchandises. Le changement envisageable ne serait pas impulsé « par le haut », mais de manière diffuse, la technologie rendant possible de nouvelles pratiques qui, en se généralisant, pourraient elles-mêmes avoir des effets systémiques.

Ces effets sont politiques, même s’ils partent de la vie ordinaire des individus et des évolutions qui y sont rendues possibles. Ce type d’outil est de nature à déstabiliser la valeur travail qui a accompagné le développement de la société industrielle. Si la consommation se reporte vers une autoproduction, cela peut inciter un certain nombre d’individus à réduire le niveau de revenu recherché, a fortiori dans un contexte économique où l’obtention d’un emploi stable et rémunérateur devient plus difficile. Cela pourrait même aller jusqu’à toucher le marché du travail qui pourrait alors entrer dans une phase de transition. De fait, les besoins en main d’œuvre ne seraient plus les mêmes, spécialement dans les industries manufacturières qui perdraient leurs débouchés et donc leur raison d’être[1]. Et au plan individuel, si chacun peut se fabriquer ses propres objets, cela peut réduire la nécessité d’avoir un emploi salarié à temps plein. On assisterait alors à une désintensification des activités marchandes et à une redistribution des flux monétaires, voire au tarissement de certains.

La diffusion de cette technologie passera toutefois par des phases d’expérimentation avant d’être éventuellement appropriée par les utilisateurs. Les potentialités que paraît promettre une technologie peuvent ne pas être toutes réalisées, ou pas complètement, ou alors se révéler dans des temporalités plus ou moins longues. Qu’elle devienne accessible ne signifie pas forcément qu’elle sera intégrée dans des pratiques courantes au point de faire partie des évidences quotidiennes (notamment pour les plus démunis).

L’infrastructure économique peut aussi ne subir que des évolutions partielles. Les imprimantes sur papier n’ont pas fait disparaître les livres et les éditeurs. Une technologie peut aussi être ressaisie par des acteurs économiques puissants qui peuvent s’en servir pour adapter des dynamiques évolutives à leur profit. Il est aussi possible d’imaginer que l’impression 3D soit vue par certaines entreprises comme un moyen de gagner encore plus de flexibilité dans leur processus productif, en mettant en place de nouvelles formes de sous-traitance.

La place de cette technologie se jugera surtout à la façon dont elle va s’interposer dans le rapport de la vie humaine aux choses. Dans un monde saturé par les objets, ce qui compte en définitive n’est pas seulement la manière de fabriquer, mais aussi les artefacts qui sont mis au monde, leur nature, leur quantité, les intentions qui les ont portés, les désirs qu’ils rencontrent… L’impression tridimensionnelle n’est qu’un moyen qui semble laisser indéterminée la question de l’utilité de ce qui va être produit avec, glissant finalement sur l’ontologie des objets.


[1] Certains journaux économiques vont jusqu’à esquisser une forme de vision enchantée s’agissant de l’emploi, avec un déplacement du travail vers des emplois plus qualifiés, comme dans cette description : « Most jobs will not be on the factory floor but in the offices nearby, which will be full of designers, engineers, IT specialists, logistics experts, marketing staff and other professionals. The manufacturing jobs of the future will require more skills. Many dull, repetitive tasks will become obsolete: you no longer need riveters when a product has no rivets » (« The third industrial revolution: The digitisation of manufacturing will transform the way goods are made—and change the politics of jobs too », The Economist, April 21st 2012, http://www.economist.com/node/21553017)





Points de friction autour des imprimantes 3D

27 09 2012

Suite et troisième partie (III) des billets précédents sur les implications potentiellement politiques des imprimantes 3D.

* * *

Pour ne pas céder au messianisme technologique, il faut toutefois rester conscient des obstacles que la diffusion de ces technologies va probablement rencontrer, à commencer par ceux posés par les différents acteurs qui n’ont pas intérêt à ce qu’elles se développent, et ceux résultant des contraintes écologiques et de la disponibilité de ressources suffisantes. Ces conditions et contraintes sont susceptibles de générer tensions et conflits, et peuvent donc influer notablement sur la trajectoire future de l’impression 3D.

Enjeux écologiques et déplacement de la question des ressources

Parce qu’elles restent des machines à produire des artefacts, les imprimantes 3D n’échapperont pas aux enjeux écologiques de « soutenabilité ». Ces enjeux sont liés aux impacts matériels des ressources consommées et aux effets environnementaux du processus de fabrication. D’une part, ces machines requièrent des matériaux qui n’existent pas forcément à l’état naturel. D’autre part, elles consomment de l’énergie et peuvent aussi engendrer des déchets.

Par qui et comment vont pouvoir être produits les matériaux de base ? Le plastique, sous diverses formes, est pour l’instant le plus couramment proposé. Son utilisation, selon ses modalités de production, peut être problématique. Les enjeux sont là similaires à ceux du remplacement des plastiques d’origine pétrolière par d’autres types issus de matières premières « naturelles » et renouvelables. Pour autant, cette technologie suit des développements qui incitent aussi une partie des acteurs intéressés à des réflexions sur les matériaux.

Sous d’autres aspects, cette technologie a aussi des avantages d’un point de vue écologique. Avec des produits conçus en open source et la disponibilité d’imprimantes 3D pour fabriquer des pièces détachées, la réparation devient plus facilement réalisable. Mais cela suppose qu’en amont, les produits soient conçus pour être facilement réparables. À l’image des catalogues de produits qui existent déjà en ligne, cela peut conduire au développement de catalogues de pièces détachées, notamment pour des produits qui ne sont plus disponibles. Cette possibilité de réparation peut donner une plus grande longévité aux objets et ainsi contourner l’obsolescence programmée qui avait pu tenter certaines entreprises pour entretenir les ventes sur leur marché.

La moindre consommation de matière est aussi un argument utilisé par certains promoteurs de ces machines. Ce mode de fabrication réduit les pertes et chutes de matériaux qui se produisent avec des machines plus traditionnelles. Le besoin d’emballages peut être aussi réduit, ce qui permettrait d’une autre manière de générer moins de déchets.

On peut toutefois aussi se demander si ce type d’outil ne va pas encourager à produire toutes sortes de gadgets, et à jeter plus et plus facilement. Le désir peut être satisfait (trop) immédiatement (« Je le veux, donc je me l’imprime »). L’outil arrive en effet dans une société consumériste, dont un des moteurs était la stimulation du désir de possession d’objets. Pas sûr donc que la quantité de biens consommés en soit réduite pour autant. L’augmentation du coût des matières premières peut en revanche jouer comme un frein à une utilisation trop facile.

Si des biens deviennent facilement disponibles (parce qu’échappant à la rareté marchandisée), il n’en reste pas moins qu’il faut gérer les objets en fin de vie. Des réflexions commencent à se développer sur le recyclage des matériaux utilisables dans les imprimantes 3D. Certaines vont jusqu’à essayer de boucler les cycles, en faisant en sorte que la matière des objets fabriqués puisse être broyée et récupérée pour des utilisations futures[1].

D’ailleurs, cette technologie ne réduit pas la question des ressources ; elle la déplace. Avec la banalisation de ce type de machines, les matériaux vont devenir un enjeu majeur et le contrôle de leurs circuits de production va devenir stratégique.

L’obstacle des régimes de propriété

Toute technologie qui est de nature à déstabiliser l’ordre établi subit des critiques et des blocages, spécialement de la part de ceux qui pouvaient bénéficier de cet ordre. S’agissant de l’impression 3D, un des fronts qui ont commencé à s’ouvrir est celui qui touche au régime de la propriété intellectuelle. Ces questions de propriété intellectuelle sont importantes pour les entreprises et acteurs économiques qui espèrent un gain financier de leur production. Certaines industries peuvent en effet craindre de subir le même sort que les industries de la musique et du cinéma suite au développement des technologies de partage de fichiers. D’autant que la technologie des scanners 3D a aussi connu un développement notable et que, grâce à elle, il devient ainsi possible de numériser des objets physiques sous forme de fichiers informatiques (voire maintenant à partir d’un smartphone). Si la reproduction des objets devient plus facile, tirer un profit de la vente de ces mêmes objets risque en revanche de devenir plus difficile pour ceux qui en étaient les producteurs traditionnels. Bref, les industriels ne vont probablement pas tarder à dénoncer de nouveaux types de « pirates »[2].

Ce genre de craintes peut être renforcé par des initiatives comme celle du site The Pirate Bay, connu pour permettre à ses membres de partager et télécharger facilement une grande masse de fichiers indexés. En janvier 2012, le portail a proposé une nouvelle catégorie, les « Physibles », devant donner accès à des fichiers d’objets imprimables en trois dimensions[3].

Prévoyant les blocages de la part de certains intérêts économiques, une partie de la communauté des adeptes de l’impression 3D a aussi engagé la réflexion sur un terrain plus juridique. L’organisation américaine Public Knowledge, dont le travail vise notamment à maintenir un Internet ouvert, a publié fin 2010 un « livre blanc » pour défendre les possibilités d’innovations entrevues dans cette technologie et essayer de prévenir les usages hostiles de la législation sur la propriété intellectuelle[4]. Le 28 avril 2011, Public Knowledge, avec les fondateurs de différentes start-ups, a aussi organisé une rencontre à Washington pour essayer de sensibiliser les décideurs publics et montrer les enjeux stratégiques de l’impression 3D.

Les problèmes de propriété intellectuelle pourraient tomber à partir du moment où les objets prototypés sont proposés sous des licences du type « Creative Commons »[5]. Ce système de licences permet de fournir une garantie juridique tout en laissant des possibilités de libre circulation aux œuvres ainsi enregistrées. Elles sont par exemple utilisées sur la plateforme de partage Thingiverse. Des réflexions ont aussi été engagées au sein de l’organisation Creative Commons pour établir des licences inspirées du modèle utilisable pour les logiciels en open source, mais sous une forme plus adaptée aux objets matériels. La communauté qui s’est constituée autour de l’impression 3D reste de fait largement attachée aux principes de l’open source, qui laisse effectivement la possibilité d’améliorer la conception des objets proposés.


[1] Des recherches de ce type ont été engagées au Creative Machines Lab de l’Université Cornell. Cf. Jonathan D. Hiller, Hod Lipson, « Fully Recyclable Multi-Material Printing », http://creativemachines.cornell.edu/sites/default/files/SFF09_Hiller3.pdf . Voir aussi Christian Baechler, Matthew DeVuono, Joshua M. Pearce, « Distributed Recycling of Waste Polymer into RepRap Feedstock », Rapid Prototyping Journal, vol. 19, n° 2, 2013.

[2] Pour un éclairage sur les cadres législatifs disponibles, notamment au Royaume-Uni et en Europe, voir Simon Bradshaw, Adrian Bowyer and Patrick Haufe, « The Intellectual Property implications of low-cost 3D printing », ScriptEd, vol. 7, n° 1, April 2010, pp. 5-31.

[3] En formulant cette conviction : « We believe that the next step in copying will be made from digital form into physical form. It will be physical objects. Or as we decided to call them: Physibles. Data objects that are able (and feasible) to become physical. We believe that things like three dimensional printers, scanners and such are just the first step. We believe that in the nearby future you will print your spare sparts for your vehicles. You will download your sneakers within 20 years » (http://thepiratebay.se/blog/203 , consulté le 12 septembre 2012).

[4] Michael Weinberg, « It Will Be Awesome if They Don’t Screw it Up: 3D Printing, Intellectual Property, and the Fight Over the Next Great Disruptive Technology », Public Knowledge, November 2010, http://www.publicknowledge.org/it-will-be-awesome-if-they-dont-screw-it-up

[5] Cf. Jean-Baptiste Soufron, « Standards ouverts, open source, logiciels et contenus libres : l’émergence du modèle du libre », Esprit, 3/2009 (Mars/avril), pp. 128-136.





Des machines susceptibles de déstabiliser l’ordre économique ?

26 09 2012

Suite et deuxième partie (II) des billets précédents sur les implications potentiellement politiques des imprimantes 3D.

* * *

Le registre de développement de l’impression en 3 dimensions n’est pas vraiment celui d’une résistance frontale contre les modalités dominantes du système économique, mais ce dernier pourrait néanmoins s’en trouver déstabilisé. Le réseau sociotechnique qui se met en place avec le développement de cette technologie pourrait contribuer à une réorganisation profonde de toute une série de réseaux qui s’étaient déployés avec le mouvement de globalisation économique[1]. Les changements dans les modes de production pourraient en effet se répercuter dans les structures industrielles, dans le statut des biens comme marchandises et jusque dans les échanges commerciaux mondiaux.

Démassification de la production

La production de masse a été à la base du développement du capitalisme industriel. Dans ce modèle qui est devenu dominant au XXe siècle, produire en grandes séries est devenu plus facile grâce à la conjonction de différents efforts, notamment de standardisation des biens proposés et de rationalisation dans l’organisation du travail, sous une forme qui a même été poussée loin avec le taylorisme. Dans sa phase d’expansion, ce système a absorbé un large ensemble de travailleurs qui ont fini par se retrouver dans une position de sujétion par rapport aux logiques industrielles : éléments fonctionnels et interchangeables, les agents attachés à la fabrication des biens ne pouvaient appréhender qu’une partie (généralement limitée) du processus de production et n’avaient le plus souvent qu’un rapport éloigné avec le résultat final, le produit fini et vendu. Producteur et consommateur devenaient deux rôles séparés, à des pôles différents des flux de marchandises. Profitant aussi des avancées techniques, la productivité des chaînes de fabrication ou de montage a pu être augmentée du fait de leur automatisation, permettant ainsi de faire également baisser les coûts. Des grandes firmes se sont développées à partir de ce système et elles ont pu assurer leur essor en écoulant de grandes quantités, à destination de clientèles souvent traitées comme des masses presque homogènes et visées par de larges campagnes publicitaires dans des médias de masse. Les débouchés étaient ceux d’une consommation également de masse.

La généralisation des imprimantes 3D pourrait affecter profondément un tel schéma. Si chacun peut fabriquer une grande partie des objets dont il a besoin, plutôt que de les acheter, ces nouveaux outils peuvent faire sortir d’un modèle industriel massifié et dépendant de grosses unités productives. Avec le développement de la mécanisation à partir du XIXe siècle et de la « révolution industrielle », la tendance a été en effet à la concentration de la production, à la fois en termes de structures manufacturières et de zones géographiques. Par comparaison, des machines comme les imprimantes 3D ont un large potentiel de dissémination : elles sont de faible taille, peuvent être démontables et modulaires. De telles machines permettent une dispersion de la production en plus petites unités. Elles ne sont pas spécialisées sur un seul ou quelques produits. Ce ne sera peut-être pas la fin des grandes usines et manufactures, mais ces machines peuvent être de nature à en réduire le nombre. Elles auraient par la même occasion un potentiel de rupture dans les tendances oligopolistiques qui marquent de nombreux secteurs des biens de consommation.

Des machines à désintermédier ? Un facteur d’obsolescence des structures industrielles

Pour les individus, une telle technologie pourrait ainsi se présenter comme une voie de réduction de leur dépendance face au système industriel. Ce type de machines, a fortiori si elles peuvent imprimer leurs propres pièces et devenir auto-réplicatives (comme dans le projet RepRap), rend presque inutile la présence de certains intermédiaires, commerciaux notamment s’agissant des points de vente où l’offre est censée rencontrer la demande, ou pour la partie de la logistique assurant l’acheminement des produits finis.

Dans le capitalisme industriel, le développement du processus productif passait par l’accumulation de capital fixe, sous forme de machines rassemblées sur des sites aménagés à cet effet. Avec les imprimantes 3D deviennent disponibles des machines productives qui ne sont plus dans des usines. Les coûts d’équipement sont réduits. L’enjeu est moins l’accès aux produits qu’aux matières pour les fabriquer, ce qui raccourcit les circuits.

La logique profonde de secteurs industriels entiers, notamment ceux fabriquant des objets en séries, peut se trouver touchée, au point de les menacer d’obsolescence. Plus les produits sont simples, plus l’utilité des industries correspondantes peut devenir difficile à faire valoir. Mais si des secteurs d’activité deviennent obsolètes, il pourrait en être de même pour les emplois qui y sont occupés. Avec des capacités de production qui pourraient se reconquérir, la force de travail des individus pourrait alors paraître moins susceptible d’exploitation.

Les machines envisagées laissent de surcroît entrevoir un potentiel de déstabilisation des logiques marchandes. Pour l’instant, beaucoup de machines disponibles sont vendues, assemblées ou non, par des sociétés comme MakerBot, Ultimaker ou plus récemment Solidoodle. Mais pour celles qui peuvent se répliquer elles-mêmes, l’intérêt à essayer de les vendre disparaît. Adrian Bowyer, fondateur du projet RepRap, a exprimé l’idée de manière presque provocatrice : « […] if you have a machine that can copy itself, you can’t sell it. You’ll only ever sell one! »[2]

En fonction des produits qui vont s’y adapter, l’expansion de cette technologie peut amener des effets en chaîne jusque dans l’ensemble du tissu économique, de la production jusqu’à la distribution et inversement. Dans les dernières décennies du XXe siècle, le tissu productif avait connu des évolutions profondes, notamment celles liées à l’avènement et au fonctionnement de la grande distribution qui ont puissamment contribué à remodeler les circuits économiques à une échelle intercontinentale. Gary Gereffi avait pu ainsi étudier le déplacement du pouvoir économique, dans les quarante dernières années, du secteur manufacturier vers le secteur de la grande distribution[3]. Ce pouvoir pourrait s’affaiblir si ce secteur voit diminuer la quantité de produits à distribuer.

Des machines à démarchandiser ? Des fabrications qui ne deviennent plus nécessairement des marchandises

La prolifération des objets dans l’environnement quotidien est un autre élément qui a fondamentalement changé la vie des individus au XXe siècle[4]. Pour une très large part, ces objets ont pris la forme de marchandises. Autrement dit, ils ont été conçus pour être vendus et achetés, et donc faire l’objet d’échanges monétaires.

La généralisation d’outils comme les imprimantes 3D peut-elle faire évoluer le rapport aux objets ? Oui, si on considère que les produire soi-même peut rendre moins passif, spécialement donc dans la manière de consommer. Le consommateur ne serait plus réduit à devoir faire ses choix par rapport à une offre prédéterminée, mais pourrait presque construire l’offre recherchée. C’est-à-dire non seulement repérer les produits et modèles disponibles, en évaluer les caractéristiques et propriétés, mais aussi potentiellement les modifier. Avec ce mode de production décentralisé, a priori adapté aux besoins, peut aussi se voir favorisée une autre manière d’envisager les biens, dans laquelle la valeur d’usage tendrait à primer davantage sur la valeur d’échange, puisque chacun peut fabriquer l’objet désiré et que l’échange devient superflu (sauf peut-être si des caractéristiques particulières doivent être ajoutées).

Ces productions ne seraient donc plus forcément destinées à être des marchandises et à acquérir une valeur sur un marché. On pourrait donc voir dans l’utilisation courante de l’impression en trois dimensions une voie possible de démarchandisation de certains objets. Si une large part des objets fabriqués ne sont plus destinés à rentrer dans des cycles d’échange marchand, le medium monétaire devient moins utile, en tout cas plus tellement pour acheter ce qui était auparavant un produit manufacturé. Il n’y a guère de justification à commercialiser un objet si tout le monde peut le fabriquer chez soi. L’idée de valeur peut être elle-même déstabilisée et cette nouvelle possibilité d’autoproduction peut rendre encore plus caduques des indicateurs déjà contestés comme le Produit Intérieur Brut (PIB).

Des machines à relocaliser ? Formes renouvelées d’autoproduction et effets sur les échanges commerciaux mondiaux

La portée de ces transformations peut-elle être globale ? C’est une possibilité à envisager, car la généralisation de tels outils, a fortiori s’ils sont accompagnés par la banalisation de lieux comme les fab labs dans les environnements quotidiens, peut bouleverser l’organisation et la circulation des flux physiques, à la fois pour les matériaux utilisés et les productions rendues possibles.

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour dire si de tels outils peuvent porter un coup d’arrêt à la globalisation économique, mais au moins peut-on supposer qu’ils puissent contribuer à des dynamiques de relocalisation et de réduction du volume des échanges internationaux. La phase récente du capitalisme globalisé a en effet été marquée par la mobilité et la libération de la circulation des marchandises. Ces flux se sont à la fois accrus et développés dans l’espace mondial à partir des années 1970, tout en participant à un réarrangement dans la division internationale du travail[5]. De nombreux travaux ont montré que la globalisation économique se manifestait par une répartition des activités productives dans de nouveaux espaces. Par choix stratégiques, une large gamme d’industries a ainsi été « délocalisée », notamment celles intensives en main d’œuvre, dans des pays jugés plus avantageux du point de vue du coût du travail. Ceci a eu pour effet conjoint d’accroître les flux de transport, que ce soit pour les matières premières ou les produits à différents stades de leur fabrication.

De ce point de vue, on pourrait comparer la technologie de l’impression 3D à une innovation comme celle du container[6], mais avec des effets presque inverses. Le container a facilité la manipulation de grandes quantités de marchandises pour des échanges sur longues distances. Il a permis de rationaliser certaines tâches logistiques, donc de gagner du temps, de réduire des coûts et de mieux maîtriser l’allongement des chaînes de transport. On peut donc considérer qu’il a favorisé le déploiement de dynamiques économiques sur de nouvelles échelles, plus vastes en l’occurrence et globales. Si l’on fait un rapprochement, l’impression 3D est une solution technique qui peut contribuer à une nouvelle déstabilisation des hiérarchies d’échelle, mais sous des formes distinctes, voire contraires de celles qui avaient pu avoir lieu avec la globalisation[7]. Compte tenu de la différence de coût probable par rapport à une fabrication locale, il ne serait guère rationnel d’aller faire fabriquer des produits dans des endroits éloignés de la planète et de les importer ensuite. Le développement de cette technologie (en plus d’autres facteurs comme l’augmentation du prix du pétrole) concourrait alors à une nouvelle phase dans la distribution spatiale des activités productives et les besoins de transport. Il y aurait moins de marchandises à transporter, puisque une part des échanges se reporterait sur les fichiers numériques contenant les informations nécessaires à l’impression.

Autrement dit, il serait logique qu’une large part de ces échanges de produits manufacturés se tarisse si la fabrication d’objets devient possible exactement là où sont les besoins, dans des délais brefs par rapport aux moments où ces besoins s’expriment, et ce sans devoir passer par des circuits longs nécessitant toute une chaîne logistique pour les rapprocher des lieux d’utilisation. Le type de production que rend possible l’impression 3D peut rendre obsolètes beaucoup d’infrastructures et d’activités logistiques. Il y aurait aussi moins de produits finis à stocker (et donc à manipuler en entrepôts). En revanche, la gestion et la distribution des matériaux utilisés (poudres, résines, etc.) peut engendrer tout un champ d’activités logistiques plus ou moins nouvelles.

Si les outils d’impression 3D permettent de fabriquer localement n’importe où et ramènent les productions d’objets sur des bases plus décentralisées, il va probablement devenir difficile de parler de division internationale du travail. Les avantages comparatifs des pays à bas salaires se trouveraient en effet réduits.

De telles machines pourraient alors donner de quoi répondre aux souhaits présents dans certains courants altermondialistes, notamment les souhaits de « relocalisation », c’est-à-dire de retour de la production à proximité des lieux de consommation. Plus qu’un enjeu seulement économique, ce retour peut en effet être vu comme un moyen de faire revenir également des possibilités de prise collective et démocratique sur les processus de fabrication. L’origine des biens matériels ne se perdrait plus dans l’opacité de circuits de production extensibles au gré des intérêts des firmes productrices.

Ces machines ne doivent donc pas être seulement regardées comme une innovation, une de plus dans un dynamisme technologique qui est allé en s’intensifiant. Elles peuvent affecter profondément l’ordre économique, et donc la vie collective qui en découle. Des activités courantes n’auraient ainsi plus besoin d’être connectées à des réseaux d’échange et seraient soustraites aux logiques économiques qui produisaient certaines dépendances.


[1] Si on reprend un cadre d’analyse comme celui de Peter Dicken, Philip F. Kelly, Kris Olds and Henry Wai-Chung Yeung (Cf. « Chains and networks, territories and scales: towards a relational framework for analysing the global economy », Global Networks, vol. 1, n° 2, 2001, pp. 89-112).

[2] Cité sur http://unit13.ortlos.info/?p=618 , consulté le 10 septembre 2012.

[3] Cf. Gary Gereffi, « The organisation of buyer-driven global commodity chains: How US retailers shape overseas production », in Gary Gereffi and Miguel Korzeniewicz (eds), Commodity Chains and Global Capitalism, Westport, Praeger, 1994.

[4] Cf. Lizabeth Cohen, « Citizens and Consumers in the United States in the Century of Mass Consumption », in Martin J. Daunton and Matthew Hilton (eds), The Politics of Consumption: Material Culture and Citizenship in Europe and America, Oxford, Berg, 2001, p. 203.

[5] Cf. « Globalization. 1973-2000 », in Jeffry A. Frieden, Global Capitalism: Its Fall and Rise in the Twentieth Century, New York, W. W. Norton & Company, 2007.

[6] Voir Marc Levinson, The Box: How the Shipping Container Made the World Smaller and the World Economy Bigger, Princeton, Princeton University Press, 2008.

[7] Pour une comparaison avec les dynamiques rattachables à la globalisation, voir Saskia Sassen, Territory, Authority, Rights: From Medieval to Global Assemblages, Princeton, Princeton University Press, 2006.





Quelques caractéristiques d’une nouvelle culture rendue possible par un nouveau type d’imprimé

25 09 2012

Suite des réflexions annoncées dans le billet précédent sur les imprimantes 3D. Je me permets ici de détourner et d’adapter le titre du deuxième chapitre du livre d’Elizabeth L. Eisenstein (The Printing Press As an Agent of Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, dont on peut également trouver une version en français).

* * *

Quelles capacités les imprimantes 3D donnent-elles ? Des capacités de fabrication certes, mais dont la répartition sociale semble pouvoir se faire différemment par rapport aux anciens modes industriels. Une technologie peut-elle être alors un vecteur d’émancipation ? La question peut être posée à nouveaux frais. Ces machines peuvent en effet se répandre dans des espaces où elles peuvent permettre des activités renouvelées. Elles trouvent un milieu de soutien qui peut aider à développer leurs potentialités et, en contribuant à éroder les logiques d’une consommation passive, elles pourraient réactiver des formes d’autonomie dans les pratiques individuelles.

Des développements technologiques qui peuvent renouveler les capacités de fabrication

Ces machines attirent[1] parce qu’elles semblent dotées d’un ensemble de propriétés physiques relativement inédites, parce qu’elles proposent des modes relativement nouveaux de fabrication et qu’elles semblent donc capables de faire certaines choses qu’il semblait plus difficile de faire auparavant[2]. Cette technologie fonctionne sur le principe de l’addition, et non du moulage ou de la soustraction. Il ne s’agit pas de retirer du matériau (en meulant ou en fraisant par exemple), mais d’en déposer des couches successives jusqu’à obtenir la forme qui étaient initialement souhaitée. Le modèle est fourni sous forme de fichier numérique, puisque les avancées informatiques permettent que les objets soient désormais « digitalisés ».

L’intérêt pour les imprimantes 3D s’est accru au fur et à mesure de l’amélioration apparente de la qualité de leurs réalisations et de la baisse de leur coût, qui devient accessible pour un budget individuel ou familial. La gamme de matériaux utilisables semble aussi s’étendre en incluant maintenant différents types de plastiques et de métaux. L’utilisation de cette technologie est même envisagée pour construire des bâtiments et « imprimer » des organes. Certaines imprimantes 3D, comme la RepRap (REPlicating RAPid prototyper)[3], sont conçues pour permettre de refabriquer des modèles identiques à elles-mêmes, grâce à une conception en open source et sur le principe du coût le plus bas possible. Même si elle ne semble pas encore parvenue à maturité, cette technologie peut donc paraître riche en possibilités pour les acteurs qui s’en saisissent.

Avec le développement de ce type d’outils, l’utilisation et la maîtrise de technologies productives pourrait ne plus être réservée à certains milieux. Cette maîtrise se déplacerait. Ce type de machine ramène des possibilités de fabrication dans la sphère domestique et pour des non-professionnels. Fab@Home, le projet du Cornell Creative Machines Lab (Cornell University), est explicitement conçu dans ce type de perspective, où les ressources techniques offertes doivent pouvoir rencontrer de nouvelles capacités et de nouveaux désirs : « A consumer-oriented fabber, coupled with the networked educational and technical resources already available today, empowers individuals with much of the innovative facility that would otherwise require an entire R&D laboratory. This could potentially lead to economic innovations such as neo-cottage industry manufacturing, an “eBay of designs” where individuals can market unique product designs as digital instructions and material recipes for others to execute on their own fabbers, and millions of people inventing technology rather than merely consuming it »[4]. Le développement des imprimantes 3D n’amènerait donc pas seulement une évolution dans les modes de fabrication, mais pourrait aussi toucher les façons de consommer les objets courants.

Si ces machines se banalisaient, les capacités productives ne seraient plus concentrées, mais distribuées. Pour certains produits, des personnes au départ éloignées des activités de production peuvent espérer rivaliser avec des mondes plus professionnels, au point même de pouvoir réduire leur besoin d’y recourir. Dans certains groupes, il y a une conscience sociale de ces capacités.

Émergence et développement d’un milieu de soutien : Fab labs et communautés d’utilisateurs

Les potentialités de ce type de technologie sont aussi à relier aux bases sociales sur lesquelles elle se développe. Elle doit en effet une large part de son développement à des collaborations en réseaux, qui permettent d’échanger et de partager les idées, de comparer les expériences réalisées. Grâce aux avancées dans le monde du numérique et aux différents canaux disponibles par Internet, cette technologie a ainsi une forte potentialité rhizomatique, dans la manière dont elle peut se diffuser, mais aussi dans la manière dont elle peut se développer en court-circuitant les hiérarchies et subordinations installées, spécialement celles du monde des entreprises.

Dans cette espèce d’espace collaboratif, la capacité à montrer des réalisations joue un rôle important, notamment par le recours à des présentations visuelles avec des photographies et surtout des vidéos présentées sur des sites plus ou moins dédiés. Les objets réalisés à partir d’imprimantes 3D permettent de montrer plus concrètement des possibilités et de donner une crédibilité aux pratiques s’appuyant sur cette technologie. Internet peut alors offrir une audience élargie et aider à la constitution d’un milieu de soutien, fait de relations physiques ou non, et capable de produire un réservoir d’informations et de connaissances. Dans ce moment encore largement expérimental, Internet permet non seulement aux savoir-faire technologiques de circuler, mais aussi d’être discutés et éventuellement complétés. Les personnes intéressées peuvent rapidement trouver des communautés, à l’image de celles formées autour de sites ou de forums, comme Thingiverse, un site qui permet de partager en ligne les fichiers contenant les caractéristiques d’objets plus ou moins utilitaires, ou le forum de Shapeways, une start-up qui propose un service d’impression à la demande. La RepRap a également agrégé autour d’elle une communauté qui permet de trouver des formes d’aide pour l’assemblage de la machine. Il suffit ainsi d’une requête sur n’importe quel moteur de recherche pour accéder rapidement à un « wiki » (http://www.reprap.org/wiki/RepRap) mettant à disposition des informations techniques, voire permettant, pour les plus motivés, de suivre l’évolution du projet et les multiples tentatives d’amélioration.

Dans l’esprit, ces initiatives rejoignent aussi l’espèce de projet également rhizomatique qui a pris forme sous l’étiquette de « fab labs ». Les fabs labs (fabrication laboratories) sont des ateliers orientés vers les nouvelles technologies, mais conçus pour être accessibles à des non-professionnels : ils mettent à disposition des outils avancés, généralement plus facilement disponibles dans le monde industriel, afin que leurs utilisateurs puissent fabriquer leurs propres objets. Inspirée du travail du Professeur Neil Gershenfeld au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à la fin des années 1990, l’idée a été reprise dans de nombreux pays[5], avec un intérêt souvent présent et fort pour l’impression 3D.

D’une certaine manière, les fab labs offrent une incarnation à l’idée d’« ateliers vernaculaires », travaillée par des penseurs comme Ingmar Granstedt[6] ou André Gorz. Dans cette rencontre plutôt imprévue, les imprimantes 3D paraissent amener l’outillage qui manquait pour donner un peu plus de corps à l’utopie de « l’autoproduction communale coopérative », à laquelle pensait par exemple André Gorz dans son projet de société[7].

Brouillage des rôles individuels : tous prosommateurs grâce aux imprimantes 3D ?

Si elle pénètre l’univers domestique, une technologie comme l’impression 3D rend possible une autoproduction pour des objets qui seront alors directement appropriables. Ce faisant, elle tendrait à dissoudre davantage les frontières entre activités de production et activités de consommation, comme ont déjà commencé à le faire les innovations informatiques et autres applications numériques[8].

Le terme de « prosommateur » a été proposé et de plus en plus souvent utilisé pour signaler ce genre de phénomène de brouillage au niveau individuel[9]. Les imprimantes 3D pourraient favoriser une nouvelle expression de cette tendance, avec des implications différentes. Avec de telles machines à sa disposition, c’est le consommateur qui peut décider de ce qui va être produit (en fonction de sa capacité à explorer le catalogue des possibilités). Il n’est plus forcément extérieur au cycle productif ; il peut y participer pour les biens qui l’intéressent et, s’il possède des compétences en conception assistée par ordinateur, il peut même apporter sa créativité avec ses propres modifications du produit. Si les caractéristiques de ce produit le permettent, il peut choisir les matériaux utilisés. La gamme de machines disponibles semble même en train de s’élargir, et cette diversification pourrait permettre aux utilisateurs de privilégier des matériels d’impression 3D ayant certaines spécifications, potentiellement plus adaptées à leurs attentes.

Le fait de fabriquer un objet peut aussi amener un plus grand intérêt pour la manière dont il est conçu[10]. Grâce aux logiciels qui peuvent être associés à l’impression 3D, les utilisateurs peuvent réintervenir sur des éléments de conception et retravailler certaines caractéristiques en fonction de ce qu’ils estiment être leurs besoins ou leurs goûts. L’objet redevient autre chose qu’une « boîte noire », comme le sont aujourd’hui beaucoup de produits ou d’appareils vendus sans qu’il soit possible de les ouvrir ou de les modifier. Derrière son aspect technologique, cet outillage restaure aussi un contact avec la matière (presque) brute et la possibilité de la transformer. De plus, le travail à faire peut paraître plus facile, moins pénible, moins salissant : il est en effet plus facile de manipuler des poudres en vrac ou des résines en cartouches que de débiter du bois ou d’usiner du métal.

Les implications pourraient se faire sentir en amont de la chaîne productive. Si accéder à de telles machines devenait aussi facile que d’accéder à un ordinateur personnel, la propriété privée des moyens de production (telle que pouvait la critiquer Karl Marx) pourrait se déplacer, voire pourrait être dissoute. Adrian Bowyer, enseignant à l’Université de Bath et fondateur du projet RepRap, laisse lui-même entrevoir ce type d’horizon. Il parle de « marxisme darwinien » à propos du processus que pourrait enclencher la pleine réalisation de son projet : « So the RepRap project will allow the revolutionary ownership, by the proletariat, of the means of production. But it will do so without all that messy and dangerous revolution stuff, and even without all that messy and dangerous industrial stuff »[11]. C’est en effet une forme d’évolutionnisme qui sélectionnerait les machines les plus appropriées et qui permettrait leur généralisation. Et donc, si on suit un tel raisonnement, avec des conséquences qui affecteraient profondément l’infrastructure économique.

Des machines à autonomiser ? Réappropriation des moyens de production et réouverture de possibilités d’autonomie

Ce type de nouvelle technologie semble offrir des capacités renouvelées (contrôle et maîtrise des techniques utilisées, ouverture aux désirs de créativité, etc.), et surtout permettre de mettre ces capacités dans des espaces sociaux qui paraissaient en avoir été dépossédés. Peut-on alors y voir une forme inédite d’empowerment par la technique ?

L’avantage de ce type de machine, c’est qu’elle peut permettre à chaque individu de retrouver des prises sur sa vie quotidienne, en l’occurrence par les objets. Sa possession ou sa disponibilité dans un environnement proche peut réduire l’angoisse de ne pas pouvoir accéder à certains biens. Grâce à ces techniques, des capacités semblent aussi pouvoir être redonnées à des communautés, à l’image de celles qui se sont qualifiées elles-mêmes de « makers ».

Si on les regarde en reprenant les inspirations d’Ivan Illich[12], ces technologies paraissent offrir des possibilités d’autonomisation, ou au moins elles peuvent redonner des marges d’autonomie. Engagé dans une réflexion critique à l’égard de la société industrielle, Ivan Illich s’inquiétait de ce que la production soit de moins en moins au service des individus et que le rapport se soit même inversé au détriment de ces derniers. La vie humaine aurait ainsi été progressivement assujettie à une forme de production « hétéronome », sur laquelle les consommateurs perdraient tout contrôle alors qu’ils bénéficient apparemment d’une masse croissante de biens et de services. Ce confort apparent se paierait par une dépendance insidieuse, tandis qu’avec une production restée « autonome », chaque personne pourrait garder une maîtrise sur les outils élémentaires aidant à réaliser ses besoins. C’est cette forme « autonome » de production qu’Ivan Illich souhaitait remettre en avant et encourager, comme élément fondamental pour remettre la société sur le chemin de la « convivialité ». Il s’agissait pour lui de restaurer les moyens permettant à tout citoyen de reconquérir la connaissance et l’orientation de ce qui fait sa vie. D’où l’importance des outils, qu’il envisage d’ailleurs dans un sens large, allant des objets matériels jusqu’aux institutions comme l’école, et pour lesquels il a cherché les critères contribuant à assurer cette convivialité. Dans sa conception, les outils conviviaux devraient être privilégiés parce qu’ils ouvrent à la production autonome de valeurs d’usage, plutôt que marchandes. Comme il l’explique : « Tools foster conviviality to the extent to which they can be easily used, by anybody, as often or as seldom as desired, for the accomplishment of a purpose chosen by the user. The use of such tools by one person does not restrain another from using them equally. They do not require previous certification of the user. Their existence does not impose any obligation to use them. They allow the user to express his meaning in action »[13]. Dans la perspective d’Ivan Illich, les outils conviviaux ne renvoient pas forcément à un niveau faible de développement technologique. Ce qu’il vise n’est pas une régression technologique, mais plutôt la sortie des systèmes qui enferment les individus et les rendent dépendants. Pour lui, la société « conviviale » est celle où tous les citoyens, et non les seuls spécialistes, ont un contrôle sur leurs outils, qui restent donc à leur service, et non l’inverse.

De ce point de vue, les imprimantes 3D ont des qualités qui peuvent être mises en avant. Elles peuvent être un moyen pour les individus intéressés de retrouver une forme de maîtrise sur leur existence, en offrant un autre rôle que celui de simples acheteurs de produits. Grâce à ce mode de fabrication personnalisée, la passivité à laquelle sont souvent contraints les consommateurs peut être contournée par la réouverture ou l’élargissement d’espaces de créativité.

Le théoricien anarchiste Murray Bookchin, dans le cadre de son projet d’« écologie sociale », avait aussi cherché à montrer que certaines technologies pouvaient avoir un potentiel « libérateur ». Il aurait peut-être vu dans les imprimantes 3D un exemple de ces machines auxquelles il aspirait, permettant d’arracher la production hors d’appareils industriels de plus en plus imposants et, par la même occasion, de libérer la vie des individus pour d’autres tâches qu’un labeur abrutissant et obligatoire[14]. Si l’on voulait résumer l’idéal politique de Murray Bookchin, ce serait en effet une société radicalement décentralisée et démocratisée. Loin d’être incompatible avec les perfectionnements technologiques accumulés dans l’histoire humaine, un tel projet pourrait même selon lui en tirer parti et trouver des ressources pour le faciliter[15]. Dans son raisonnement, l’enjeu ne serait plus tellement de libérer l’humanité du besoin, puisque le niveau technologique atteint le permettrait, mais d’utiliser ce potentiel pour aider à améliorer les relations entre humains et avec la nature. Il s’agirait alors plutôt de favoriser les innovations technologiques ayant des potentialités libératrices, celles précisément qui sembleraient pouvoir se développer en dehors des logiques du capitalisme industriel.

L’idée d’une production décentralisée et à petite échelle est aussi notoirement défendue par Ernst Friedrich Schumacher, dont l’argument « small is beautiful » concerne effectivement pour une part importante la dimension technologique[16]. Dans cette perspective, la préférence va aux « technologies appropriées », autrement dit permettant de tenir compte du contexte de leur utilisation et suffisamment simples pour les rendre encore maîtrisables par les populations ou les groupes amenés à les manier.

Quelques décennies après leur disparition, la technologie de l’impression en trois dimensions paraît donc offrir une possible voie d’incarnation aux idées d’une série d’auteurs, qui auraient probablement été séduits par ce type d’avancée. Ces machines rendent concevable la possibilité pour la population de se réapproprier des moyens de production. Autrement dit, elles pourraient donner à un très large ensemble d’individus des moyens de produire par eux-mêmes ce qu’ils désirent ou ce dont ils estiment avoir besoin, et au moment où ils le souhaitent en allouant le temps qu’ils souhaitent. Ce serait donc une configuration où les rapports de dépendance seraient notablement transformés, notamment parce que la capacité à produire soi-même ses biens peut réduire la pression à aller chercher un revenu.


[1] Y compris en suscitant un intérêt marqué dans des journaux représentant la pensée économique dominante, comme The Economist. Cf. « The printed world: Three-dimensional printing from digital designs will transform manufacturing and allow more people to start making things », The Economist, Feb. 10th 2011, http://www.economist.com/node/18114221 ; « Solid print: Making things with a 3D printer changes the rules of manufacturing », The Economist, Apr. 21st 2012, http://www.economist.com/node/21552892 . Le New York Times a même parlé de « révolution » (Cf. Ashlee Vance, « 3-D Printing Spurs a Manufacturing Revolution », The New York Times, Published: September 13, 2010, http://www.nytimes.com/2010/09/14/technology/14print.html?ref=ashleevance).

[2] D’où aussi les possibilités de développement de toute une rhétorique pouvant contribuer à construire les mérites et les avantages de cette technologie. Cf. David Michael Sheridan, « Fabricating Consent: Three-Dimensional Objects as Rhetorical Compositions », Computers and Composition, vol. 27, n° 4, December 2010, pp. 249–265.

[3] Pour une présentation des origines et de la conception de cette machine, voir Rhys Jones, Patrick Haufe, Edward Sells, Pejman Iravani, Vik Olliver, Chris Palmer and Adrian Bowyer, « RepRap – the replicating rapid prototyper », Robotica, vol. 29, Special Issue 01, January 2011, pp. 177-191.

[4] « Multi-Material 3D Printing »,
http://creativemachines.cornell.edu/Multi_material_3D_Printing , consulté le 31 mai 2012.

[5] Pour une présentation et une remise en perspective du projet, voir Neil Gershenfeld, Fab: The Coming Revolution on Your Desktop–from Personal Computers to Personal Fabrication, New York, Basic Books, 2007.

[6] Cf. Du chômage à l’autonomie conviviale, Lyon, À plus d’un titre, 2007.

[7] Cf. « Crise mondiale, décroissance et sortie du capitalisme », in Ecologica, Paris, Galilée, 2008, p. 121

[8] Cf. Valérie Beaudouin, « Prosumer », Communications, 1/2011 (n° 88), pp. 131-139 ; George Ritzer, Paul Dean, Nathan Jurgenson, « The Coming of Age of the Prosumer », American Behavioral Scientist, vol. 56, n° 4, April 2012, pp. 379-398.

[9] Voir par exemple Ashlee Humphreys, Kent Grayson, « The Intersecting Roles of Consumer and Producer: A Critical Perspective on Co-production, Co-creation and Prosumption », Sociology Compass, vol. 2, n° 3, May 2008, pp. 963–980.

[10] Si l’on fait le lien avec le point de vue de David Gauntlett (Cf. Making is Connecting. The social meaning of creativity, from DIY and knitting to YouTube and Web 2.0, London, Polity, 2011), l’impression 3D ne ferait alors que rejoindre un mouvement plus large.

[11] « The Biology of Rapid Prototyping or Darwinian Marxism », daté du 2 février 2004 pour la première version, http://people.bath.ac.uk/ensab/replicator/background.html , texte également disponible sous le titre « Wealth Without Money », http://reprap.org/wiki/Wealth_Without_Money , consulté le 28 juin 2012.

[12] Cf. Ivan Illich, Tools for Conviviality, London, Calder and Boyars, 1973.

[13] Tools for Conviviality, ibid., p. 22.

[14] Cf. « Towards a liberatory technology », in Post-Scarcity Anarchism, Montreal/Buffalo, Black Rose Books, 1986.

[15] Cf. Damian F. White, « Post-Industrial Possibilities and Urban Social Ecologies: Bookchin’s Legacy », Capitalism Nature Socialism, vol. 19, n° 1, March 2008, p. 75-76.

[16] Cf. Small is Beautiful. A Study of Economics as if People Mattered, London, Blond and Briggs, 1973.





L’impression tridimensionnelle, agent de changement mais aussi vecteur de reconfiguration politique ?

24 09 2012

Il y a quelques mois, j’avais entamé une réflexion sur les effets politiques que pourrait avoir une technologie qui connaît apparemment des développements nouveaux et rapides, celle des imprimantes 3D. Les prémices de cette réflexion avaient été retenues pour une présentation plus développée dans le cadre d’une conférence internationale qui aura lieu le mois prochain à la London School of Economics and Political Science sur le thème “Materialism and World Politics”. Comme un blog peut aussi servir à mettre en discussion un travail en cours, je vais en profiter pour mettre en ligne au fur et à mesure le résultat de ces cogitations, au cas où cela pourrait intéresser des lecteurs et lectrices qui passeraient par ici. La forme est évidemment plutôt académique, mais j’espère qu’elle ne dissuadera pas les réactions éventuelles. Et si ça peut faire avancer l’analyse…

* * *

Introduction

           Les imprimantes 3D (autrement dit, en trois dimensions, puisqu’elles fonctionnent en ajoutant des couches de matériau les unes au-dessus des autres) commencent à susciter beaucoup de commentaires. Elles laissent en effet entrevoir des changements potentiellement importants dans la manière de fabriquer toute une série d’objets usuels. Mais pas seulement. Certes, il y a des implications techniques et économiques[1], mais derrière, il pourrait aussi y avoir des effets plus profondément politiques. Ce sont ces effets que cette contribution propose d’explorer.

Ces développements techniques, qui combinent design informatique et nouveaux modes de production automatisée, ouvrent des espaces d’expérimentation, pour l’instant principalement visibles sur des petits créneaux commerciaux ou dans des ateliers et communautés de bricoleurs technophiles comme les fab labs (« fabrication laboratories ») et hackerspaces. Mais, dans la mesure où ces outils sont aussi conçus pour être accessibles à terme au plus large public[2], il serait utile de regarder au-delà du caractère encore expérimental de ces initiatives. On peut en effet faire l’hypothèse que des changements dans l’ordre politique, et des changements potentiellement profonds, peuvent aussi advenir par l’accumulation de pratiques dispersées d’apparence simplement technique (de même que les connexions informatiques par Internet n‘ont pas seulement ouvert de nouvelles possibilités de communication, mais ont aussi catalysé des transformations politiques).

Au-delà des répercussions économiques qui commencent à être plus souvent étudiées, c’est ce potentiel de transformation de l’ordre politique qui mérite aussi d’être examiné, d’autant que c’est à une échelle même mondiale que l’évolution pourrait se faire sentir. Il ne s’agit d’ailleurs pas simplement de dire qu’il y a du politique dans les techniques, ce qui est maintenant communément accepté[3], mais que certaines contiennent des potentialités de changement qui dépassent leurs concepteurs et dont l’importance se révélera dans leurs conditions d’actualisation.

L’impression en trois dimensions est une technologie qui semble en effet ouvrir le champ des possibles. Elle a toutes les apparences d’une « technologie disruptive »[4], parce qu’elle semble pouvoir l’emporter en performances sur d’autres technologies établies, au point donc de pouvoir aussi modifier notablement les pratiques des acteurs qui s’en saisissent, et par effet induit les conditions concurrentielles entre opérateurs économiques. Elle a aussi toutes les apparences d’une « technologie à usage général » (« general purpose technology »), parce qu’elle pourrait avoir des effets sur l’ensemble du système économique et amener des changements profonds et structurels, de la sphère du travail jusqu’à la sphère familiale[5].

Rétrospectivement, un autre type d’impression, celui sur papier, montre les influences cumulatives qu’une technique matérielle peut avoir sur les activités humaines, justifiant ainsi de l’analyser comme un « agent de changement »[6]. Mais l’interrogation qui sous-tend cette contribution est plus prospective. Ce qui est aussi en jeu dans ce cas, c’est de savoir comment évaluer les effets potentiels d’une technologie qui n’est pas encore développée, autrement dit comment appréhender les usages qui peuvent en être faits et les transformations qui peuvent en résulter. Ce genre de technologie est d’autant plus difficile à aborder qu’il capte et nourrit tout un imaginaire (d’ailleurs parfois proche de la science-fiction[7]). Comme l’ambition analytique peut donc facilement dériver vers la pure spéculation, il faut aussi savoir garder suffisamment de recul par rapport aux différents types de discours, emphatiques ou critiques, qui peuvent entourer tout nouveau développement technologique[8]. Ces divers discours d’accompagnement pourraient justifier une étude à part entière, mais l’inconvénient serait alors de ne guère pouvoir saisir ces développements technologiques eux-mêmes et leurs éventuelles retombées.

Précisément, l’impression 3D peut être aussi un moyen de revenir sur le rapport de la technologie à l’ordre économique et politique. Pour une part importante, l’ordre capitaliste s’est construit par les machines. Pourrait-il être déstabilisé par un nouveau type de machines ? Dans cette contribution, il va justement s’agir de repérer des potentialités et de les analyser, plus précisément comme facteurs matériels pouvant aussi avoir des enchaînements d’effets et aller jusqu’à des implications politiques. La généralisation de ce type de machines, comme les ordinateurs jusque dans les foyers, peut amener une évolution des pratiques, des modes de consommation, et par contrecoup des systèmes productifs. Quelle logique de déploiement de telles machines pourraient-elles avoir ? Quels usages rendent-elles envisageables ? Quelles ressources offrent-elles pour ceux qui s’en saisissent ? Avec quelles contraintes ? Quelles reconfigurations pourraient-elles alors induire ?

L’analyse effectuée dans cette contribution part de l’hypothèse qu’un développement technologique peut avoir des effets systémiques. Des machines peuvent avoir des résultats autres et plus indirects que ceux pour lesquels elles ont été conçues ou envisagées. Le changement technique contribueraient alors au changement social, par des évolutions conjointes et convergentes.

Avancer dans ce type d’analyse demande toutefois une précaution méthodologique : celle d’« extraire la notion de machine d’une conception industrielle », pour reprendre un objectif qu’avait posé Frédéric Vengeon dans un programme du Collège international de philosophie[9]. Les machines permettant d’imprimer en trois dimensions intègrent à la fois du mécanique et du digital / computationnel / informationnel (selon les termes que l’on privilégie). Elles traitent de la matière et des données ; elles les combinent pour assembler des artefacts hybrides, extraits de la virtualité et amenés à la matérialité. De surcroît, ce n’est pas seulement l’outil ou la machine qu’il faut considérer, mais le système auquel elle participe, à la fois par les éléments dont elle hérite et ceux qu’elle contribue à modifier. Ce qui veut dire aussi que, sur ce type d’investigation, l’approche doit forcément être transdisciplinaire : sociologie des techniques[10], économie politique[11], socio-économie[12], cultural studies[13], théorie politique[14].

À partir de ces différentes bases, cette contribution étudiera les potentialités et implications des imprimantes 3D en trois étapes. Elle commencera par revenir sur les promesses associées à cette technologie et montrera les résonances qu’elle peut trouver en incarnant des possibilités de restauration de capacités individuelles et collectives (I). Elle examinera ensuite dans quelle mesure ces machines pourraient déstabiliser les bases industrielles des sociétés contemporaines, et donc l’ordre économique, avec par la même occasion des implications politiques (II). Elle terminera en éclairant les points de friction que ces développements technologiques risquent de rencontrer et qui pourraient donc affecter les trajectoires futures (III).

À suivre donc…


[1] Voir par exemple Hod Lipson, Melba Kurman, Factory@Home: The Emerging Economy of Personal Manufacturing. Overview and Recommendations, A report commissioned by the US Office of Science and Technology Policy, December 2010, http://web.mae.cornell.edu/lipson/FactoryAtHome.pdf .

[2] Cf. Leslie Gordon, « Rapid prototyping for the masses », Machine Design, vol. 83, n° 10, June 9, 2011, pp. 40-42.

[3] Dans la lignée par exemple des réflexions de Langdon Winner, « Do artifacts have politics? », Daedalus, vol. 109, n° 1, 1980, pp. 121-136, repris dans The Whale and the Reactor. A Search for Limits in an Age of High Technology, Chicago, University of Chicago Press, 1986.

[4] Pour reprendre le concept qu’a cherché à développer Clayton M. Christensen. Voir par exemple The Innovator’s Dilemma. When New Technologies Cause Great Firms to Fail, Boston, Harvard Business School Press, 2000.

[5] Cf. Elhanan Helpman (ed.), General Purpose Technologies and Economic Growth, Cambridge, MIT Press, 1998 ; Boyan Jovanovic, Peter L. Rousseau, « General purpose technologies », in Philippe Aghion and Steven N. Durlauf (eds), Handbook of economic growth, Volume 1B, Amsterdam, Elsevier, 2005, pp. 1181-1224.

[6] Cf. Elizabeth L. Eisenstein, The Printing Press As an Agent of Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1979.

[7] Le roman L’âge de diamant (The Diamond Age, New York, Bantam Spectra, 1995) de Neal Stephenson vient souvent comme référence dans les discussions plus ou moins spéculatives, parce qu’il met en scène des « matri-compilateurs », appareils dont dispose chaque foyer et qui, grâce aux avancées nanotechnologiques, permettent d’assembler sur demande n’importe quel produit, aliment ou objet.

[8] Dans cet esprit, voir par exemple Federico Caprotti, « The cultural economy of cleantech: environmental discourse and the emergence of a new technology sector », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 37, n° 3, July 2012, pp. 370–385.

[9] Cf. « Philosophie de la machine. Un programme du Collège international de philosophie », Revue de synthèse, tome 130, 6e série, n° 1, 2009, p. 177.

[10] Cf. Madeleine Akrich, « The De-Scription of Technical Objects », in Wiebe E. Bijker and John Law (eds), Shaping Technology / Building Society: Studies in Sociotechnical Change, Cambridge, MIT Press, 1992, pp. 205-224.

[11] Notamment pour appréhender le comportement des acteurs économiques. Cf. Albert O. Hirschman, Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Cambridge, Harvard University Press, 2004 (1970).

[12] Matt Ratto et Robert Ree ont commencé à explorer ces implications socioéconomiques (« Materializing information: 3D printing and social change », First Monday, vol. 17, n° 7 – 2 July 2012, http://firstmonday.org/htbin/cgiwrap/bin/ojs/index.php/fm/article/viewArticle/3968/3273 ).

[13] Cf. Jennifer Daryl Slack and J. Macgregor Wise, Culture and Technology. A Primer, New York, Peter Lang, 2005.

[14] Notamment pour penser les dynamiques qui se déroulent à un niveau subpolitique, si l’on reprend la conceptualisation d’Ulrich Beck (Cf. The Reinvention of Politics. Rethinking Modernity in the Global Social Order, Cambridge, Polity Press, 1997).