Je suis très déçu : je pensais que l’arrivée de Ségolène Royal à la tête du Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie allait faire exploser les ventes de mon premier livre, Régulation publique et environnement (L’Harmattan, 2003), qui était issu de ma thèse. Plus de vingt ans après, Ségolène Royal semblait retrouver un poste relativement familier, qui faisait partie de mon étude sur « les changements dans la régulation publique des problèmes d’environnement au tournant des années 1980 et 1990 » et qui aurait pu justifier un regard rétrospectif de la part des médias et analystes de la vie politique.
Blague à part, revenir sur le passé d’un acteur politique, a fortiori dans une position de direction (et autrement que dans la veine du journalisme « people »), est forcément utile pour appréhender les logiques d’action qui vont être portées dans un champ d’intervention. Dans le cas de Ségolène Royal, il est effectivement possible d’utiliser un point de comparaison, celui de l’époque (du 3 avril 1992 au 29 mars 1993) où elle pilotait un « Ministère de l’Environnement », dans un format certes plus réduit puisqu’il peinait encore à sortir d’une situation institutionnelle plutôt périphérique.
Épisode intéressant, car, après la démission de Brice Lalonde, le Ministère de l’Environnement repris par Ségolène Royal a fait à l’époque figure de « vitrine » permettant au gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy d’entretenir des possibilités de rapprochements avec les formations écologistes. Face à un contexte électoral qui s’annonçait difficile, celui des élections législatives de mars 1993, il apparaissait en effet nécessaire aux responsables socialistes de maintenir la confiance d’électeurs qui pouvaient être tentés par les arguments écologistes. Pour ce qui se rapporte à l’action gouvernementale, il s’agissait de montrer que l’exercice du pouvoir par les socialistes avait su intégrer le souci environnemental[1], qu’un travail concret avait été effectué en ce sens[2]. Pendant ces quelques mois de 1992 et 1993, Ségolène Royal a effectivement essayé de donner cette image à son action ministérielle, ce qui se traduira notamment par un positionnement et une loi plutôt opportunistes sur les paysages.
S’agissant des vieilles discussions sur l’introduction d’une fiscalité écologique dans le domaine des transports, les positions récentes de la ministre sur l’« écotaxe poids lourds » sont également intéressantes à observer et à comparer. L’histoire est longue et ancienne en effet, et c’est en fait un ensemble de discours sur les corrections tarifaires à effectuer entre les différents modes de transport qui a conservé une assise importante dans la réflexion poursuivie au Ministère de l’Environnement sous l’égide de Ségolène Royal. Celle-ci en fait même une des priorités à venir lorsqu’il s’agit de tirer le bilan de son action ministérielle (ainsi dans la brochure publiée avant son départ : « rétablir les conditions d’égalité économique entre la route et le rail, en faisant prendre en charge par le transport routier le coût des atteintes à l’environnement ; définir une solidarité financière entre le système autoroutier et le rail pour les grandes infrastructures de transport combiné dont la France et l’Europe ont besoin »[3]). Les souhaits affichés tendent ainsi à converger vers l’extension du recours aux incitations fiscales pour réduire les déséquilibres de prix qui affectent le fonctionnement du marché des transports (comme le précise plus loin la même brochure : « Le rééquilibrage du prix de la route par rapport au fer, et de la voiture individuelle par rapport aux transports collectifs est le seul moyen de développer les transports publics, du transport combiné et du ferroutage. Il mettra fin à la fuite en avant dans les autoroutes et à la fragilisation du secteur routier soumis à la politique des flux tendus des entreprises »[4]).
Dans la science politique francophone, il y a peu de travaux sur la question de l’influence du ministre titulaire du portefeuille, plus précisément comme variable susceptible d’affecter le cours d’une action publique. Dans quelle mesure la personne à ce type de poste oriente-t-elle les politiques publiques qui relèvent de son champ d’intervention ? Pierre M. Chabal avait retranscrit ce type d’enquête dans un article (« Les ministres « font »-ils une « différence » ? Le style individuel des ministres dans le changement programmé de politiques publiques », Revue internationale des sciences administratives, vol. 69, n° 1, 2003). À partir des cas d’une vingtaine de ministres européens (français, britanniques, espagnols et allemands), il avait conclu que les ministres développent leur style propre à la tête de leur ministère. D’autres travaux, à partir d’approches différentes, pourraient donner une vision moins tranchée et montrer l’influence plus profonde d’autres variables (par exemple l’influence diffuse de courants d’idées).
Ces questions, toujours intéressantes, sont désormais plus éloignées de mes recherches actuelles, et je vais donc laisser à d’autres le soin de reprendre et nourrir avec de nouveaux matériaux ce genre d’analyses.
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[1] Cette intention est perceptible dans le positionnement adopté face à l’écologie, à l’image de cet extrait provenant de réflexions du Secrétariat National à la Formation du Parti Socialiste : « Aujourd’hui, à l’heure où les partis écologistes ont réussi une percée politique et électorale sans précédent aux municipales de mars 1989, aux européennes de juin 1989 et surtout aux régionales de mars 1992, il était urgent de montrer que les socialistes avaient pleinement intériorisé la préoccupation écologiste. C’est pourquoi le choix de l’un des leurs, Ségolène Royal, pour succéder à Brice Lalonde, ou encore de Marie-Noëlle Lienemann au titre du secrétariat d’État au cadre de vie et au logement, permettra sans doute à la fois d’assurer une continuité et de mettre en exergue l’évolution des socialistes dans ce domaine » (« Bilan de la politique d’environnement des gouvernements socialistes depuis 1981, in Secrétariat National à la Formation du Parti Socialiste / Centre Condorcet, L’écologie dans le combat socialiste, Paris, Parti Socialiste, juin 1992, p. 211).
[2] Argument que l’on retrouvera dans la presse du parti : « Les vrais écologistes ce sont les socialistes qui ont œuvré en profondeur en faveur de l’environnement et d’une meilleure qualité de la vie » (in « L’écologie a besoin des Socialistes », Vendredi, n° 175 du 12 février 1993).
[3] Ségolène Royal, une année d’action pour la planète, Paris, Ministère de l’Environnement, 1993, p. 1.
[4] Comme le précise plus loin la même brochure : « Le rééquilibrage du prix de la route par rapport au fer, et de la voiture individuelle par rapport aux transports collectifs est le seul moyen de développer les transports publics, du transport combiné et du ferroutage. Il mettra fin à la fuite en avant dans les autoroutes et à la fragilisation du secteur routier soumis à la politique des flux tendus des entreprises » (« développer les incitations et la fiscalité écologique », ibid., p. 10).