Quand le « développement durable » rencontre la « gouvernance » (et transforme la démocratie en technologie de gouvernement ?)

14 02 2010

Les enjeux écologiques sont aussi des enjeux de démocratie. Ils dépendent en effet de choix socio-économiques et techniques plus ou moins lourds qui devraient être à discuter de manière collective. Autour de la thématique du « développement durable » s’est constituée une forme de programme de gouvernement de la société qui est de ce point de vue très intéressante à étudier. Cette thématique comporte en effet une part de discours qui semblent encourager une attention à la qualité de la démocratie et de ses modes de fonctionnement. Diverses améliorations des procédures politiques semblent recherchées : sur les conditions de transparence de l’information, sur les possibilités de circulation des connaissances acquises, sur les dispositifs à renforcer pour faciliter la concertation ou la participation…

À l’analyse, il faudrait plutôt parler d’une absorption de la thématique démocratique dans la problématique du « développement durable ». La dimension démocratique y est de plus en plus apparue réemballée dans le vocabulaire de la « gouvernance ». Au motif de mettre l’ensemble de la société sur la voie d’un « développement durable », le public s’est trouvé reconstruit en un ensemble de contributeurs, pouvant être enrôlé par une série de dispositifs allant des pratiques de concertation déjà connues jusqu’à des expériences de participation plus novatrices. Toute une série de discours, institutionnels mais aussi militants, à teneur fortement mobilisatrice, tend ainsi à construire une image du citoyen qui écoute ce qui lui est dit et qui tient compte de ce qui lui est conseillé. L’institutionnalisation de dispositifs participatifs, par exemple dans le cadre des « agendas 21 locaux », est aussi à interpréter par rapport à cet esprit qui imprègne de manière croissante l’action publique.

De fait, les espaces de discussion qui souvent prennent forme sous impulsion institutionnelle sont aussi des espaces dans lesquels sont tout aussi souvent mises en forme des prescriptions. C’est pourquoi il peut être délicat d’associer cette dynamique récente à une forme de démocratisation, dans la mesure où elle semble davantage aboutir à une utilisation tendancielle de la démocratie comme technologie de gouvernement. Ou alors, comme le spécialiste canadien de théorie politique Mark E. Warren, faudrait-il peut-être plutôt parler de « démocratisation fonctionnant à la gouvernance » (Cf. « Governance-Driven Democratization », article paru dans Critical Policy Analysis, vol. 3, n° 1, April 2009, et accessible en ligne dans une ancienne version), un processus par lequel la « démocratisation » résulterait davantage de la recherche par les responsables politiques et administratifs de manières plus efficaces de gouverner. Un tel alliage conceptuel peut susciter de profondes discussions, car participation et dialogue ne signifient pas forcément écoute, et l’engagement citoyen peut s’avérer au final limité.

Pour les curieux qui souhaiteraient des arguments plus développés, je renvoie à un article qui était paru dans la revue électronique Vertigo et qui fournira également des éléments plus empiriques : « Le “développement durable” appelle-t-il davantage de démocratie ? Quand le “développement durable” rencontre la “gouvernance”… », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 8, n° 2, octobre 2008, accessible en passant par ici.





Traduire nos responsabilités planétaires

16 02 2009

 

C’est le titre d’un ouvrage collectif qui vient de paraître aux éditions Bruylant (le titre complet est en fait Traduire nos responsabilités planétaires. Recomposer nos paysages juridiques, 764 pages). Pourquoi ce titre ? Parce que les contributions de l’ouvrage (issues d’un colloque tenu en octobre 2007) se réunissent notamment autour d’une question de plus en plus fondamentale : comment faire émerger une nouvelle éthique pour l’action collective à un moment où les pressions exercées sur la planète paraissent mettre celle-ci en péril ?

 

Dans ce livre, je propose une contribution dans laquelle j’analyse la problématique du « développement durable » comme la systématisation d’une gestion des conséquences des activités humaines. La réalisation d’un « développement durable » est de fait devenue un objectif courant des agendas gouvernementaux. Même si ses conditions de réalisation peuvent être largement discutées, il peut être interprété comme la formulation d’une obligation envers l’avenir et d’une nécessité de révision de la manière de préparer cet avenir. Autrement dit, si la collectivité se rallie à cette logique, cela signifie qu’elle va devoir adapter son état d’esprit général et s’occuper des conséquences de ses actions, y compris celles qui pourraient paraître éloignées dans le temps. Précisément, il s’agit d’éviter les conséquences jugées négatives, notamment celles qui correspondraient à des effets irréversibles. L’objectif de mon texte est donc de saisir la nature de cette reconfiguration qui pourrait s’avérer engagée. Quels en sont les soubassements et les lignes directrices ? À quelles traductions ce mouvement de repositionnement donne-t-il lieu ? Quelle interprétation en donner ? Cette apparente généralisation de l’attention pour les conséquences, portée de manière emblématique par le discours du « développement durable », laisse en effet entrevoir une rationalité gouvernementale en évolution. Elle tend à induire des transformations dans l’appréhension des objets de gouvernement, et ainsi à amener dans ce mouvement des repositionnements des cadres programmatiques à partir desquels s’élaborent les interventions institutionnelles. De ce mouvement paraissent ou pourraient émerger de nouveaux principes d’action et il apparaît donc important d’engager la réflexion pour en cerner les contours et les orientations. Il y a là en effet une autre manifestation d’un processus de gouvernementalisation du changement que j’ai essayé de comprendre dans un travail plus large.

 

Une présentation de l’ensemble de l’ouvrage est disponible sur le site des éditions Bruylant, ainsi qu’une table des matières.

 





Débats publics et formes de mobilisation territorialisée

14 12 2008

 Puisque j’y participe, je me permets de faire de la publicité pour le séminaire « Débats publics et formes de mobilisation territorialisée » qui se déroule chaque deuxième vendredi du mois dans les locaux de l’EHESS de Marseille à la Vieille Charité.

La prochaine séance, dans laquelle j’interviens, aura lieu le vendredi 9 janvier prochain. Elle a pour titre « Participation et développement durable : la modernisation réflexive de l’action publique« . J’y ferai le matin une présentation intitulée « De la gouvernance du développement durable au gouvernement réflexif des pratiques démocratiques« .

Le programme de l’ensemble du séminaire est .

Ma présentation s’appuiera sur des travaux qui arrivent à publication, notamment « Le “développement durable” appelle-t-il davantage de démocratie ? Quand le “développement durable” rencontre la “gouvernance”… », article paru dans VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 8, Numéro 2, octobre 2008.

L’article est disponible en ligne.





Le « développement durable » appelle-t-il davantage de démocratie ?

30 11 2008

Paru le mois dernier :

« Le « développement durable » appelle-t-il davantage de démocratie ? Quand le « développement durable » rencontre la « gouvernance » »…

Article paru dans VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 8, Numéro 2, octobre 2008.

Résumé :

Telle qu’elle est le plus souvent conçue, la thématique du « développement durable » renvoie à un large ensemble de changements profonds à réaliser dans toutes les sphères de la société. Pour cette raison, elle s’inscrit logiquement dans une tonalité de mobilisation générale. Elle débouche fréquemment sur un appel à des procédures rénovées dans l’organisation de la vie collective, de façon à favoriser toutes les coopérations utiles. Autour des questions de « développement durable » et de gouvernance s’est ainsi formée une problématique commune sur les procédures à mettre en place pour pouvoir rapprocher, ou au moins faire réfléchir et discuter, des acteurs aux intérêts potentiellement divergents. D’une certaine manière, le « développement durable » tend, de façon plus ou moins explicite, à être pris comme une incitation à repenser la question de la pratique de la démocratie et des institutions à partir desquelles elle est censée fonctionner. C’est même une forme d’équation qui tend presque à être posée entre « développement durable » et démocratie, avec une relation de dépendance entre les deux termes. Un tel postulat incite à se demander plus précisément dans quelle mesure l’objectif de « développement durable » peut pousser ou contribuer à un travail de redéfinition du fonctionnement démocratique, à la fois dans ses principes et dans ses pratiques. Quelle forme d’avancée démocratique est dessinée ? Quels présupposés sont ainsi articulés ? Quelles propositions arrivent dans les discussions ? Sur quels dispositifs ces propositions tendent-elles à déboucher ? Quelles pratiques prennent forme et dans quelle mesure viennent-elles en prolongement de ce qui s’apparente à un programme de gouvernement renouvelé ? C’est à ces questions que cette contribution propose de répondre, notamment dans un cadre français et européen.

L’article est consultable en ligne ou téléchargeable