Hors des décombres du monde : désormais en librairie !

30 08 2018

Depuis quelques années, je réfléchis en politiste sur l’intérêt (notamment politique donc) de la science-fiction et la façon dont elle peut aider à (re)penser les enjeux écologiques qui marqueront inévitablement les prochaines décennies et probablement au-delà. Le livre qui réunit l’ensemble de ces réflexions est désormais disponible en librairie. Ce qui tombe bien pour  la « rentrée des idées », puisqu’il permet d’y remettre quelques augures désagréables (catégorie « Angoisses sociales » dans le journal Le Monde).

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Présentation :

L’humanité doit-elle se préparer à vivre sur une planète de moins en moins habitable ? Comment adapter l’équipement intellectuel collectif pour éviter une telle situation ? Et pourquoi pas en recourant à la science-fiction et à son potentiel imaginaire ? En considérant les profondes transformations du monde avec le regard évolutif de la science-fiction, ce livre ne se contente pas de montrer que ses déplacements dans le temps et dans l’espace sont riches de toute une imagination écologique, en littérature comme au cinéma. De cette masse de récits et de représentations peuvent en effet être aussi dégagées des expériences et des ouvertures inspirantes, aidant à réfléchir, éthiquement et politiquement, sur les manières pour une collectivité de prendre en charge les défis environnementaux. La science-fiction, au-delà de ce qu’elle peut susciter comme espoirs (les plus) démesurés ou inquiétudes (les plus) pessimistes, comme découragements devant les menaces annoncées ou sursauts de conscience, offre à la réflexion, en plus d’un réservoir imaginaire, un support de connaissance susceptible de nous aider à habiter les mondes en préparation. Et, peut-être, à avancer vers de nouveaux possibles et une autre éthique du futur…

Le sommaire est également disponible sur le site de l’éditeur.





Gouverner en pensant systématiquement aux conséquences ?

7 05 2010

C’est le titre d’un article récemment paru dans la revue électronique Vertigo (vol. 10, n° 1, avril 2010) et dans lequel je m’intéresse aux implications institutionnelles de l’objectif de « développement durable » (dans le prolongement d’une réflexion plus large déjà présentée ici). Les logiques induites peuvent effectivement avoir des effets particuliers et elles méritent donc un regard plus attentif.

Résumé :

La réalisation d’un « développement durable » est devenue un objectif courant des agendas gouvernementaux. Il peut être interprété comme la formulation d’une obligation envers l’avenir et d’une nécessité de révision de la manière de préparer cet avenir. Les implications éthiques et institutionnelles peuvent être importantes : si la collectivité se rallie à cette logique, elle va devoir adapter son état d’esprit général et s’occuper des conséquences de ses actions, y compris celles qui pourraient paraître éloignées dans le temps. Précisément, un tel projet suppose d’éviter les conséquences jugées négatives, notamment celles qui correspondraient à des effets irréversibles, dans une démarche de surcroît systématique.

Il importe de saisir les soubassements et les orientations de cette reconfiguration qui pourrait s’avérer engagée. Cette apparente généralisation de l’attention pour les conséquences, portée de manière emblématique par une thématique comme celle du « développement durable », laisse en effet entrevoir une rationalité gouvernementale en évolution. Elle tend à induire non seulement des transformations dans l’appréhension des objets de gouvernement, mais aussi des repositionnements des cadres programmatiques à partir desquels s’élaborent les interventions institutionnelles. De ce mouvement paraissent ou pourraient émerger de nouveaux principes d’action et il est donc essentiel d’engager la réflexion pour en cerner les contours et les lignes directrices.

L’article fait partie d’un intéressant dossier intitulé « Ethique et environnement à l’aube du 21ème siècle » (un peu de promotion en même temps pour une revue qui essaye de faire un vrai travail interdisciplinaire de qualité depuis maintenant 10 ans).





Autre monde, autres réseaux ?

10 03 2010

Quels leviers reste-t-il encore aujourd’hui pour les projets de transformation sociale, notamment ceux qui affirment qu’« un autre monde est possible » ? Question difficile, car l’époque semble être davantage aux doutes et aux désorientations. Construire une alternative politique suppose en effet de retrouver des prises sur notre monde et son évolution. Malheureusement, un certain fatalisme peut conduire à penser que les forces et dynamiques en jeu sont quasiment devenues insaisissables, notamment celles qui sous-tendraient la lame de fond de la « globalisation ».

De ce point de vue, les attentes de renouvellement théorique et pratique sont donc fortes. Dans un article paru en octobre 2007 dans la revue Raison publique (« La connaissance et la praxis des réseaux comme projet politique », téléchargeable en fichier pdf), j’avais essayé de voir dans quelle mesure une pensée et une praxis des réseaux pouvaient fournir une forme de secours. La proposition, avec les outils de la philosophie politique et des sciences sociales, visait plus précisément à tester s’il pouvait y avoir là, dans cette pensée des réseaux, un moyen de reconstruire un projet politique adapté aux configurations contemporaines.

Si notre monde devient un monde de réseaux (comme nombre d’analyses tendent à le confirmer), il faut en effet le saisir avec des outils du même ordre. Et c’est seulement après ce travail qu’il devient possible de réfléchir plus sérieusement à un « autre monde possible ». Pour prendre un exemple emblématique, Toni Negri, un des théoriciens actuellement influents dans la pensée radicale, évoque le rôle des réseaux et les formes de pouvoir qui en découlent, mais il ne pousse pas la réflexion autant qu’il le pourrait. Selon son analyse, le vaste appareil de gouvernement qui s’est installé et qu’il appelle « l’Empire » (notamment dans le livre du même nom) serait d’autant plus difficile à contrecarrer qu’il s’avérerait expansif, enveloppant, décentralisé et déterritorialisé. Et, si on continue à suivre ce type de perspective, ce serait dans et par les « multitudes » que de nouvelles formes de résistance devraient être amenées à se développer. Sauf qu’on peut aussi considérer que la construction d’une alternative politique n’a guère avancé si ces nouveaux réseaux de pouvoir restent dans une appréhension abstraite, lointaine et nébuleuse. Ces réseaux, comme je le proposais, il faudrait faire l’effort d’essayer de les tracer véritablement, pour au moins commencer à donner les voies permettant d’en sortir ou éventuellement de les reconfigurer, et c’est ensuite qu’il serait possible de fournir des bases aidant à reconstruire un véritable projet politique.

Certes, la tendance de l’époque paraît déjà être à vouloir tout tracer. Mais ce n’est pas tellement ce penchant à la surveillance et au contrôle disciplinaire qu’il s’agit d’encourager. À rebours de cette tendance, l’enjeu serait plutôt de faire en sorte que ce traçage généralisé des réseaux garde un potentiel émancipateur, donc surtout ne conduise pas à une dérive sous forme d’instrumentalisation policière ou autoritaire.

L’article, qui esquisse en trois étapes les grandes lignes d’un tel projet, est désormais accessible directement en ligne sur le site de la très dynamique et souvent très stimulante revue Raison publique.





Traduire nos responsabilités planétaires

16 02 2009

 

C’est le titre d’un ouvrage collectif qui vient de paraître aux éditions Bruylant (le titre complet est en fait Traduire nos responsabilités planétaires. Recomposer nos paysages juridiques, 764 pages). Pourquoi ce titre ? Parce que les contributions de l’ouvrage (issues d’un colloque tenu en octobre 2007) se réunissent notamment autour d’une question de plus en plus fondamentale : comment faire émerger une nouvelle éthique pour l’action collective à un moment où les pressions exercées sur la planète paraissent mettre celle-ci en péril ?

 

Dans ce livre, je propose une contribution dans laquelle j’analyse la problématique du « développement durable » comme la systématisation d’une gestion des conséquences des activités humaines. La réalisation d’un « développement durable » est de fait devenue un objectif courant des agendas gouvernementaux. Même si ses conditions de réalisation peuvent être largement discutées, il peut être interprété comme la formulation d’une obligation envers l’avenir et d’une nécessité de révision de la manière de préparer cet avenir. Autrement dit, si la collectivité se rallie à cette logique, cela signifie qu’elle va devoir adapter son état d’esprit général et s’occuper des conséquences de ses actions, y compris celles qui pourraient paraître éloignées dans le temps. Précisément, il s’agit d’éviter les conséquences jugées négatives, notamment celles qui correspondraient à des effets irréversibles. L’objectif de mon texte est donc de saisir la nature de cette reconfiguration qui pourrait s’avérer engagée. Quels en sont les soubassements et les lignes directrices ? À quelles traductions ce mouvement de repositionnement donne-t-il lieu ? Quelle interprétation en donner ? Cette apparente généralisation de l’attention pour les conséquences, portée de manière emblématique par le discours du « développement durable », laisse en effet entrevoir une rationalité gouvernementale en évolution. Elle tend à induire des transformations dans l’appréhension des objets de gouvernement, et ainsi à amener dans ce mouvement des repositionnements des cadres programmatiques à partir desquels s’élaborent les interventions institutionnelles. De ce mouvement paraissent ou pourraient émerger de nouveaux principes d’action et il apparaît donc important d’engager la réflexion pour en cerner les contours et les orientations. Il y a là en effet une autre manifestation d’un processus de gouvernementalisation du changement que j’ai essayé de comprendre dans un travail plus large.

 

Une présentation de l’ensemble de l’ouvrage est disponible sur le site des éditions Bruylant, ainsi qu’une table des matières.

 





« Responsabilité sociale et environnementale » : l’entrée du business dans l’ère de la simulation ?

7 11 2008

 

Ma lectrice préférée me parle beaucoup en ce moment de « responsabilité sociale et environnementale » (RSE). Effectivement, pas une grande entreprise qui n’affiche sa vertu. À l’analyse, les prétentions éthiques semblent plutôt se rapprocher d’une logique de simulation, pour parler comme Jean Baudrillard (Cf. Simulacres et simulation, Galilée, 1985). Plus que des stratégies rhétoriques, ces démonstrations de responsabilité opèrent dans l’ordre des signes et de leur manipulation. L’enjeu pour ces entreprises, c’est la réputation, donc le travail sur ce qui risque de préoccuper les esprits soupçonneux. D’où l’importance des rapports et autres outils de communication. Car, au final, dans cette logique de simulation, ce n’est pas tellement l’action sur la réalité qui compte, mais tout le travail de mise en avant de convictions qui finit par tenir lieu de référence à la réalité. La transformation de celle-ci n’est plus alors entrevue que dans une relation complètement distendue, presque accessoire.

 

Sur le cas, connexe et révélateur, des déchets ménagers et de leur gestion, voir une ancienne contribution parue dans Les effets du développement durable, sous la direction de Patrick Matagne, L’Harmattan, 2006.