COP 21 : simulacres et simulation ?

29 11 2015

Une version de ce billet est aussi parue sur le site theconversation.com dans la rubrique « Spécial COP21 ».

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logo-COP21Les résultats de la COP 21 susciteront forcément une multitude de commentaires. La grille d’analyse qui risque de s’avérer la plus pertinente pour cette nouvelle conférence (dans le prolongement de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et du protocole de Kyoto) est probablement celle qu’Ingolfur Blühdorn avait déjà posée à propos de la COP 15, autre grand rassemblement qui avait eu lieu à Copenhague en décembre 2009. Cet enseignant-chercheur de l’Université de Bath, en Angleterre, avait montré le paradoxe déjà présent dans la quinzième session de la Conférence des Parties. D’un côté, il semble en effet y avoir une large reconnaissance de la nécessité, pour les sociétés de consommation des pays les plus riches, de changer radicalement leurs valeurs et leurs modes de vie si elles prétendent vraiment vouloir enrayer le changement climatique (ou plutôt pour en atténuer les effets, compte tenu de la tendance apparemment largement engagée). D’un autre côté, les réticences sont massives, multiples et telles que finit par dominer l’incapacité à mettre en œuvre un tel changement. Ingolfur Blühdorn a cherché à expliquer cette impasse en s’appuyant sur les conceptualisations de Jean Baudrillard (sur le simulacre qui se fait passer ou qui est pris pour une vérité), et il montre ainsi que ce qui s’est construit est davantage une politique de « non-soutenabilité », où il s’agit, par des jeux d’affichage, de « soutenir l’insoutenable » ou « faire durer le non-durable » (« to sustain the unsustainable »). Autrement dit, de simuler, de faire paraître réel ce qui ne l’est pas : des engagements qui s’avèrent en contradiction avec les pratiques restant dominantes et avec des politiques gouvernementales qui reviendront rapidement aux classiques objectifs de croissance économique. Et en plus, en contribuant à dépolitiser les enjeux environnementaux par leur technicisation, au profit donc d’une expertise qui peut les rendre moins accessibles à une large appréhension par les populations (c’est également pour cela qu’Ingolfur Blühdorn préfère parler de « post-écologisme »). S’il actualise son travail, il pourra ajouter que l’organisation française de la COP 21 aura adjoint la novation sécuritaire en bloquant les manifestations moins institutionnelles qui cherchaient à répercuter les voix de la « société civile ».

Pour celles et ceux qui souhaiteraient être moins pessimistes, on peut aussi considérer qu’au-delà de la recherche d’un accord, ce type de méga-conférences environnementales peut avoir une pluralité de fonctions, qui peuvent inciter à faire une autre analyse qu’en termes de succès ou d’échec. Au-delà des événements eux-mêmes, qui ont un avant et un après, ces conférences s’inscrivent en effet dans des processus, qui peuvent eux-mêmes être à la jonction de plusieurs temporalités et logiques d’acteurs ; elles contribuent à construire des agendas globaux (orientant alors l’attention vers une même gamme d’enjeux), à diffuser des principes (par exemple le principe de « responsabilités communes mais différenciées », censé introduire une forme d’équité dans le cas des négociations sur le climat), à agencer des instruments d’action (généralement d’une forte technicité et en pratique majoritairement ajustés aux logiques de marché), à légitimer des manières particulières de gouverner les activités humaines au nom des risques écologiques ou climatiques. Je renvoie à un court texte que j’avais écrit à propos de Rio+20, mais qui garde sa pertinence pour la conférence de cette semaine.

La question qui reste est de savoir s’il est encore possible de faire comme si la transformation des systèmes complexes organisant les sociétés humaines pouvait essentiellement passer par des arrangements institutionnels « par le haut », négociés dans des arènes opaques et supposés ensuite pouvoir descendre dans tous les secteurs socio-économiques. D’autant que, dans le travail intergouvernemental pour la COP21, les enjeux énergétiques, pourtant capitaux, ont quasiment été mis en marge des discussions. Le jeu des intérêts est tel que les choix structurants, ceux qui empêchent de changer de trajectoire et spécialement sur les types d’énergie privilégiés, échappent au débat sur la scène officielle. Les reconnexions auraient de fait montré que les questions climatiques, au-delà de l’attention qu’elles ont fini par capter, ne sont que des pièces de problèmes plus larges et qu’on pourrait même qualifier de systémiques. Des engagements évasifs prétendant traiter ces questions climatiques isolément, en faisant à nouveau confiance à un mélange d’innovation technologique (implicitement supposée plus « propre »), de cadrage économique (avec maintenant les tentatives de définition d’un « prix du carbone ») et de gestion politico-bureaucratique (pour au moins assurer le suivi des contributions nationales), ne peuvent que maintenir les ambiguïtés.

Références :

– Ingolfur Blühdorn, « The Politics of Unsustainability: COP15, Post-Ecologism, and the Ecological Paradox », Organization & Environment, vol. 24, n° 1, March 2011, pp. 34-53. URL : http://oae.sagepub.com/content/24/1/34

– Yannick Rumpala, « À quoi peut servir Rio+20 ? », contribution parue sur le site nonfiction.fr, 13 juin 2012. URL : http://www.nonfiction.fr/article-5889-a_quoi_peut_servir_rio20_.htm





À quoi peut servir Rio+20 ?

13 06 2012

Le texte qui suit est aussi paru sur le site nonfiction.fr dans la rubrique « Actualité des idées ».

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 Dans quelques jours, du 20 au 22 juin 2012, va se tenir la prochaine Conférence des Nations Unies pour le développement durable, à Rio de Janeiro au Brésil. Cette conférence est aussi appelée « Rio+20 », parce qu’elle doit marquer le vingtième anniversaire d’une autre conférence, tenue au même endroit, avec un intitulé légèrement différent (Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement). La notion de « développement durable » doit une part de son essor à cette conférence de juin 1992. Le « développement durable » était censé devenir un nouveau modèle, conciliant développement économique, amélioration des conditions de vie de l’humanité, et préservation des ressources et des équilibres naturels.

20 ans après Rio, les bilans axés sur les aspects écologiques et la répartition des « richesses » n’incitent guère à l’optimisme. D’où la question qui peut venir assez rapidement : à quoi sert ce type de conférence ? Question d’autant plus légitime que les difficultés des négociations préparatoires amènent déjà beaucoup de commentateurs à anticiper un échec, ou au moins le discours convenu dans ce type de situation stérile, à savoir une réaffirmation minimale de la nécessité d’un engagement collectif. Toutefois, pour répondre à ce genre d’interrogation, ce n’est pas forcément ou pas seulement le résultat direct qu’il faut immédiatement considérer.


Des lieux d’institutionnalisation des enjeux environnementaux…

Comme lieux de rassemblement, des sommets tels que ceux de Rio en 1992 et de Johannesburg en 2002 (« Sommet Mondial sur le Développement Durable ») sont d’abord notables quantitativement par l’audience qu’ils réunissent : plusieurs dizaines de milliers de personnes provenant du vaste monde. Dans les multiples réunions officielles mais aussi parallèles, ils mettent ainsi ensemble une large gamme d’acteurs : des représentants de gouvernements, d’institutions internationales, d’ONG, de grandes entreprises, de syndicats… C’est une des raisons, avec l’éventail des enjeux abordés, pour lesquelles des analystes comme Gill Seyfang et Andrew Jordan peuvent à juste titre parler de « méga-conférences » à propos de ce genre de réunions internationales[1]. De plus, ces « méga-conférences » environnementales (Stockholm en 1972, Rio en 1992, New York en 1997, Johannesburg en 2002) sont larges dans leur ambition, puisque les discussions y sont placées en relation avec les enjeux de développement, et qu’elles sont donc distinctes de conférences aux thématiques environnementales plus restreintes. Si l’on suit Gill Seyfang et Andrew Jordan, les effets de ces grosses conférences ne doivent d’ailleurs pas simplement être lus à l’aune de l’avancée des discussions. Ces « méga-conférences » peuvent effectivement être vues aussi comme les marques d’un processus plus profond, à travers lequel s’institutionnalise une prise en charge internationale pour les questions touchant à l’environnement. Elles sont investies comme un forum non seulement au moment où elles se déroulent, mais aussi dans la phase de préparation qui les précède et dans les travaux de restitution qui peuvent les prolonger. Elles ont pu ainsi constituer une contribution importante dans l’ancrage de la rhétorique du « développement durable », et pas seulement dans les sphères institutionnelles, comme le montre la reprise de cette approche dans le monde des affaires et dans l’espace public. Elles participent à la construction de principes d’action communs, tels ceux rassemblés dans la « Déclaration sur l’environnement et le développement » adoptée lors de la Conférence de Rio (par exemple le principe d’information, ou le controversé principe de précaution). En laissant entrevoir de possibles canaux de participation pour les groupes potentiellement intéressés, l’apparente ouverture de ces conférences vers la « société civile » leur permet de surcroît de gagner une forme de légitimité, par la promesse d’une « gouvernance » plus « inclusive » (pour reprendre le lexique circulant maintenant couramment dans les milieux associés).

En définitive, selon Gill Seyfang et Andrew Jordan, ces « méga-conférences » environnementales tendent à s’organiser autour de six fonctions :

– l’établissement d’agendas globaux (d’autant plus confortés qu’ils peuvent alors bénéficier d’une reprise médiatique) ;

– la facilitation d’une appréhension conjointe des enjeux d’environnement et de développement ;

– la reconnaissance de principes communs, notamment pour l’action gouvernementale ;

– la mise en avant d’une forme de leadership global, assimilable par les gouvernements nationaux et locaux (et même pour l’Union européenne qui, comme acteur collectif trouve ainsi un espace pour essayer de faire prévaloir son propre modèle) ;

– la construction de capacités institutionnelles (par la création d’organes nouveaux, comme la Commission du Développement Durable des Nations-Unies, et la promotion de dispositifs originaux, comme les « agendas 21 locaux ») ;

 – la légitimation d’une « gouvernance globale » grâce à l’installation d’un processus plus ouvert aux « parties prenantes ».


… Aux espaces de cadrage des discours

Certes, il y a beaucoup de mise en scène politique, presque théâtrale, dans ces sommets. Mais le politiste sud-africain Carl Death, dans les travaux issus de sa thèse[2], a montré qu’il faut aussi les voir comme des technologies de gouvernement, car par la même occasion, ce sont des espaces de discussion qui sont organisés et structurés, et en l’occurrence en rendant disponibles des cadres discursifs pouvant justifier des manières de gouverner les évolutions environnementales.

Ce type de sommet est ainsi intéressant comme moment de révélation des discours dominants et des logiques qui en découlent. Celui qui vient s’inscrit dans une tendance à l’« économisation » des enjeux qui se poursuit maintenant depuis plusieurs décennies et qui se prolonge ainsi par une nouvelle étape symbolique. Parmi les quelques thèmes mis en avant dans les orientations officielles figure en effet notamment la promotion d’une « économie verte ». Cette structuration thématique (fortement contestée d’ailleurs dans le milieu des ONG écologistes) est une manière de réaffirmer la centralité d’objectifs de « croissance », présentés a fortiori comme impérieux pour les pays « les moins avancés » et ceux au bord de la récession. Le tout assorti bien sûr des correctifs requis : la solution providentielle semblerait désormais connue, puisqu’il s’agirait ainsi de « stimuler une croissance sobre en carbone et efficace en ressources »[3]. Logiquement, ce type de proposition paraît plutôt séduisant pour les différents intérêts qui prétendent chercher des solutions pour sortir de la « crise économique » sans bouleverser le système. Nouvelle échappatoire ? Pas sûr en effet que les discussions soient à la mesure des défis qui semblent attendre la planète.

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Pour une remise en perspective plus approfondie des logiques institutionnelles qui se sont mises en place dans le sillage de la thématique du « développement durable », je ne peux que renvoyer vers mon livre (Développement durable ou le gouvernement du changement total, éditions Le Bord de l’eau, collection « Diagnostics », 2010), ou alors, pour les esprits pressés, aux comptes rendus dont il a bénéficié, par exemple dans la revue électronique Lectures et dans la Revue française de science politique.


[1] Cf. Gill Seyfang and Andrew Jordan, « The Johannesburg Summit and Sustainable Development: How Effective Are Environmental Conferences? », in Olav Schram Stokke and Øystein B. Thommessen (eds.), Yearbook of International Co-operation on Environment and Development 2002/2003, London, Earthscan Publications, 2002, pp. 19–39. Pour un point de vue plus synthétique, voir également Gill Seyfang, « Environmental Mega-conferences – From Stockholm to Johannesburg and Beyond », Global Environmental Change, vol. 13, n° 3, October 2003, pp. 223–228.

[3] « Rio+20 : l’Union européenne vise haut », L’Environnement pour les Européens (magazine trimestriel publié par la direction générale de l’environnement de la Commission européenne), n° 47, mai 2012, p. 4.





Environnement et intégration européenne

19 05 2011

La revue Politique européenne vient de sortir un numéro spécial (n° 33) consacré à « l’intégration européenne par l’environnement », avec une série d’articles qui s’appuient plus ou moins directement sur le cas de la France. Perspective utile, parce que c’est de plus en plus dans des nœuds institutionnels nationaux et supranationaux que se joue la prise en charge des problèmes d’environnement. Nathalie Berny, qui a coordonné le numéro, montre justement en introduction tout l’intérêt (et même la nécessité) qu’il y a à étudier les politiques environnementales, si on veut bien les comprendre, au croisement de ces différents niveaux institutionnels. De ce point de vue, ces politiques, amenées à se développer compte tenu des enjeux sous-jacents, sont en effet un « laboratoire » de l’intégration européenne, mais aussi des transformations récentes et en cours de l’action publique. D’ailleurs, une bonne part des nouveaux instruments de l’action publique (labels, chartes, standards, etc.) a été expérimentée dans ce « laboratoire ».

Le numéro est aussi l’occasion pour moi de continuer à développer le concept de « gouvernementalisation ». Dans mon article, je pars en effet des objectifs de « développement durable », et de la manière dont ils sont travaillés et traduits politiquement et administrativement, pour montrer qu’ils tendent à faire évoluer le rapport des institutions publiques au changement. Plus exactement, ils tendent à « gouvernementaliser » le changement jugé nécessaire pour adapter la collectivité, à en faire un objet de prise en charge institutionnelle, à justifier un assemblage d’orientations programmatiques, de dispositifs instrumentaux, de procédures. Cet assemblage est encore loin d’être stabilisé, mais il commence à révéler des logiques qui peuvent poser question.

L’article est disponible sur le portail cairn, comme l’ensemble de la revue, qui montre d’ailleurs que, sur un même objet, la science politique peut être aussi riche d’une diversité d’approches et d’éclairages.





Développement durable ou le gouvernement du changement total

29 10 2010

 

 

Parution

aux éditions Le Bord de l’eau,

collection « Diagnostics ».

 

 

 

 

 

 

Un auteur est toujours impatient de voir sortir en librairie son dernier livre, a fortiori lorsqu’il résulte d’un long travail. Sort donc en ce moment un nouvel ouvrage qui permet de rassembler différents travaux entrepris depuis quelques années autour du « développement durable ». Il aidera, j’espère, à mieux comprendre les logiques et les implications des politiques qui se réclament de ce label ou qui prétendent se placer dans ce sillage.

En guise de présentation, voici quelques lignes de l’introduction pour préciser l’orientation du livre :

Faire changer l’ensemble de la société. Tel est le grand but qui semble devenu impératif avec la mise à l’ordre du jour du « développement durable ». Il faut reconnaître que l’enjeu présenté est fort : il en irait du devenir de la planète elle-même, soumise à des pressions de plus en plus lourdes à supporter. De multiples échos, médiatiques, scientifiques, politiques, répercutent des séries de menaces, écologiques notamment, qui paraissent suffisamment nombreuses, graves et étendues pour justifier le besoin d’une réaction collective ferme.

Le thème du « développement durable » s’est trouvé progressivement construit comme un axe majeur de réponse. L’emballage normatif et rhétorique de cette problématique a été abondamment souligné, notamment par ceux qui se sont efforcés d’en retracer l’origine ou la diffusion. Mais l’analyse doit maintenant aller au-delà. Pourquoi ? Parce que la saisie de plus en plus fréquente de l’enjeu semble quitter le simple registre rhétorique et que les effets pratiques de la circulation de cette thématique commencent à s’accumuler. Au point même que l’ordre et le fonctionnement institutionnels peuvent paraître à une période de basculement, sous l’effet précisément de transformations cumulatives. C’est donc à un autre stade de la réflexion qu’il faut dorénavant passer pour appréhender plus précisément le mouvement d’adaptation apparemment ébauché.

En prenant pour objet le « développement durable », l’objectif de cet ouvrage n’est pas en effet de refaire l’analyse d’une production idéologique, de se limiter à l’interprétation du sens d’un concept ou à l’histoire de son implantation, ce qui reviendrait à répéter des travaux qui commencent à devenir redondants. Il s’agit ici davantage de cerner les prolongements, les implications, les incarnations de ce grand but en terme de tâches et d’activités gouvernementales. Dans la manière dont est institutionnellement saisi et mis en chantier l’objectif de « développement durable » pourrait en effet bien se jouer une mutation historique d’importance, liée au réarrangement des capacités collectives pour tenter de répondre aux enjeux convergents mis sur le devant de la scène.

En quoi s’agirait-il alors d’un nouveau moment historique ? La réponse renvoie notamment au rapport des institutions au changement et à la manière de le prendre en charge collectivement. Avec l’impératif de « durabilité » ou de « soutenabilité » du développement, ce rapport paraît notablement évoluer. Derrière les multiples ajustements et repositionnements qui s’effectuent, semblent prendre forme et s’assembler les pièces d’un nouveau grand dessein commun, qui serait non seulement de promouvoir un changement profond et général mais aussi désormais de piloter et de gérer ce changement. C’est principalement ce réagencement, ses logiques organisatrices et les processus le rendant possible que cette étude propose d’interpréter. Précisément parce que les activités et stratégies de gouvernement, en pénétrant sur ce nouveau terrain, semblent changer de registre.

 

La suite dans le livre. Et pour ceux que le sujet intéresserait, une occasion de soutenir sa librairie de quartier…





Les habits discursifs du « développement durable » : entre projet commun et nouveau futurisme

7 10 2010

 

 

En attendant la parution d’un ouvrage plus substantiel à la fin du mois (Développement durable ou le gouvernement du changement total, aux éditions Le Bord de l’eau), un article proposant quelques éclairages sur les discours qui prétendent constituer le « développement durable » en projet collectif et sur la manière dont ils retravaillent l’idée de futur :

 

 

« “Développement durable” : du récit d’un projet commun à une nouvelle forme de futurisme ? », A contrario, 2/2010 (n° 14), pp. 111-132.

L’article est accessible sur le portail cairn.info et en voici le résumé :

Les multiples ralliements vers la thématique du « développement durable » peuvent donner l’image d’une dynamique collective de construction d’un large projet de réorganisation sociale, voire d’un projet de société à part entière pour les versions les plus ambitieuses. Cette contribution propose de revenir sur ce qui semble ainsi représenter un nouveau projet commun pour tous les compartiments de la collectivité, et de saisir les lignes directrices structurant sa formation. Pour cela, ce projet est d’abord analysé à partir de la vocation corrective sur lequel il est construit. Sont ainsi examinées les conditions d’étayage discursif qu’il a pu trouver et la mise en forme sociodiscursive d’un métarécit qui tend à s’effectuer dans le même mouvement. On verra que c’est par la même occasion le bien commun qui se trouve reformulé, dans un processus où se mêlent en fait de multiples voix. On soulignera enfin que la problématique du « développement durable » traduit aussi une représentation temporelle différente quant à la nature des problèmes à traiter et que cela peut amener une évolution dans la manière de concevoir les interventions institutionnelles.





Les infrastructures de la « consommation durable » et la fabrique du consommateur-citoyen

24 09 2010

Il devient de plus en plus intéressant d’analyser comment l’objectif de « développement durable » s’insère dans les existences quotidiennes et peut conduire à en reconfigurer certains moments. En amenant à changer certains gestes par exemple, ou en poussant à adopter de nouvelles habitudes. C’est ce que j’essaye de montrer et d’interpréter dans mes recherches, par exemple récemment dans le domaine de la consommation[1], en examinant plus précisément les dispositifs et les pratiques qui sont censés permettre à cette consommation de devenir « durable ». Effectivement, sous ce vaste motif, c’est toute une série de choix et de règles, pas forcément explicitées comme telles, qui paraissent s’imposer pour chacun dans l’apparente banalité de la vie de tous les jours. Jusqu’à prendre la forme d’une trame plutôt fine, mais tout à fait présente…

Les efforts pour inciter les populations à une « consommation durable » relèvent encore pour beaucoup de la sphère de la communication, mais pas seulement : ils ont également pris une dimension matérielle. Ce faisant, leurs incarnations prolongent aussi une longue suite de dispositifs « technosociaux », qui peuvent être apparentés à ceux dont l’historien britannique Patrick Joyce a repéré et analysé le développement dans l’histoire des villes, spécialement au XIXe siècle lorsque se renforce l’enjeu de leur gouvernabilité[2]. L’objectif de « consommation durable » contribue à transformer matériellement l’infrastructure marchande, comme on l’a vu avec les différentes formes d’étiquetage et de signalétique présentes dans les lieux de vente. La conception des packagings des produits, des supports promotionnels dans les rayons, est révisée, prise dans des cycles supplémentaires de réflexion, transformant ces intermédiaires en porteurs d’une nouvelle gamme de prescriptions (éthiques, écologiques, etc.). Mais, en dehors des lieux de vente, d’autres dispositifs matériels sont aussi de plus en plus présents et visibles dans le paysage urbain, et tendent même à quadriller le territoire des citadins[3]. Outre les déchetteries spécialement aménagées pour la récupération de certains flux de déchets, les containers pour la collecte du verre, du papier, des emballages, se sont multipliés sur les trottoirs des villes, de façon à pouvoir nourrir les filières de recyclage. À défaut d’être directement incitatifs, ces éléments désormais courants du mobilier urbain sont quand même présents comme une forme de rappel de la nécessité de certains comportements, notamment ceux de tri des matériaux potentiellement recyclables. De plus en plus souvent objets de design pour être fonctionnels (voire de concours de design), ils inscrivent dans les rues un univers de références sémiotiques en adoptant aussi fréquemment des jeux de couleurs similaires à ceux des poubelles déjà différenciées pour les espaces privés, ainsi que des signalétiques spécifiant consignes et bons gestes. Les équipements complètent les nouveaux bacs, poubelles ou sacs que les foyers ont dû intégrer dans leur quotidien pour les déchets à trier. L’architecture des immeubles et des logements, spécialement les nouveaux, est d’ailleurs de plus en plus souvent modifiée pour tenir compte des espaces nécessaires au tri.

Les rationalités qui encouragent le développement de ce type de matériel et d’infrastructure ne sont pas les mêmes que celles décrites par Patrick Joyce dans ses travaux d’histoire socio-culturelle. En l’occurrence, elles sont basées sur d’autres motivations que des motivations sanitaires (comme ce pouvait être le cas auparavant dans la prise en charge des déchets[4] ou les formes de pédagogie de l’hygiène qui ont accompagné le développement des réseaux d’eau[5]), mais elles ne sont pas sans véhiculer leur propre forme de pédagogie et, de ce point de vue, elles sont une autre manifestation des relations qui peuvent se nouer entre infrastructure matérielle et gouvernement des conduites (la « gouvernementalité » dont parlait Michel Foucault) par des intermédiaires, équipements ou objets, qui peuvent paraître ordinaires, insignifiants. Dans le domaine de la « collecte sélective », parce que l’enjeu est aussi devenu d’en accroître la performance, toute une ingénierie s’est développée, avec ses professionnels et prestataires, ses propositions techniques et ses guides[6], et des recherches sont même réalisées pour déterminer quels types de containers placer aux endroits les plus appropriés[7]. En définitive, la régulation du collectif paraît renvoyée à une forme d’auto-régulation des individus, mais une forme aiguillonnée de sorte que les bonnes habitudes attendues soient acquises et conservées. Bref, de subtils ajustements, mais qui méritent d’autant plus d’être examinés qu’ils permettent aussi de comprendre comment le système production-consommation commence à répondre aux contraintes d’adaptation, environnementales notamment, qui pesait sur lui…

 


[1] Yannick Rumpala, « La « consommation durable » comme nouvelle phase d’une gouvernementalisation de la consommation », Revue Française de Science Politique, vol. 59, n° 5, Octobre 2009, pp. 967-996.

[2] Patrick Joyce, The Rule of Freedom. Liberalism and the Modern City, London, Verso, 2003.

[3] Le maillage peut paraître moins dense en milieu rural, mais il y est aussi présent.

[4] Cf. Henri-Pierre Jeudy, « Le choix public du propre. Une propriété des sociétés modernes », Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 53, décembre 1991, pp. 102-107.

[5] Voir aussi Jean-Pierre Goubert, La Conquête de l’eau. L’avènement de la santé à l’âge industriel, Paris, Robert Laffont, 1986.

[6] Par exemple Adelphe/Ademe/Éco-Emballages, Implantation des points d’apport volontaire de déchets ménagers. Recueil de recommandations, Paris, Ademe, Décembre 1995, 60 p.

[7] Voir par exemple J.V. López Alvarez, M. Aguilar Larrucea, F. Soriano Santandreu and A. Fernando de Fuentes, “Containerisation of the selective collection of light packaging waste material: The case of small cities in advanced economies”, Cities, vol. 26, n° 6, December 2009, pp. 339-348.





Gouverner en pensant systématiquement aux conséquences ?

7 05 2010

C’est le titre d’un article récemment paru dans la revue électronique Vertigo (vol. 10, n° 1, avril 2010) et dans lequel je m’intéresse aux implications institutionnelles de l’objectif de « développement durable » (dans le prolongement d’une réflexion plus large déjà présentée ici). Les logiques induites peuvent effectivement avoir des effets particuliers et elles méritent donc un regard plus attentif.

Résumé :

La réalisation d’un « développement durable » est devenue un objectif courant des agendas gouvernementaux. Il peut être interprété comme la formulation d’une obligation envers l’avenir et d’une nécessité de révision de la manière de préparer cet avenir. Les implications éthiques et institutionnelles peuvent être importantes : si la collectivité se rallie à cette logique, elle va devoir adapter son état d’esprit général et s’occuper des conséquences de ses actions, y compris celles qui pourraient paraître éloignées dans le temps. Précisément, un tel projet suppose d’éviter les conséquences jugées négatives, notamment celles qui correspondraient à des effets irréversibles, dans une démarche de surcroît systématique.

Il importe de saisir les soubassements et les orientations de cette reconfiguration qui pourrait s’avérer engagée. Cette apparente généralisation de l’attention pour les conséquences, portée de manière emblématique par une thématique comme celle du « développement durable », laisse en effet entrevoir une rationalité gouvernementale en évolution. Elle tend à induire non seulement des transformations dans l’appréhension des objets de gouvernement, mais aussi des repositionnements des cadres programmatiques à partir desquels s’élaborent les interventions institutionnelles. De ce mouvement paraissent ou pourraient émerger de nouveaux principes d’action et il est donc essentiel d’engager la réflexion pour en cerner les contours et les lignes directrices.

L’article fait partie d’un intéressant dossier intitulé « Ethique et environnement à l’aube du 21ème siècle » (un peu de promotion en même temps pour une revue qui essaye de faire un vrai travail interdisciplinaire de qualité depuis maintenant 10 ans).





Quand le « développement durable » rencontre la « gouvernance » (et transforme la démocratie en technologie de gouvernement ?)

14 02 2010

Les enjeux écologiques sont aussi des enjeux de démocratie. Ils dépendent en effet de choix socio-économiques et techniques plus ou moins lourds qui devraient être à discuter de manière collective. Autour de la thématique du « développement durable » s’est constituée une forme de programme de gouvernement de la société qui est de ce point de vue très intéressante à étudier. Cette thématique comporte en effet une part de discours qui semblent encourager une attention à la qualité de la démocratie et de ses modes de fonctionnement. Diverses améliorations des procédures politiques semblent recherchées : sur les conditions de transparence de l’information, sur les possibilités de circulation des connaissances acquises, sur les dispositifs à renforcer pour faciliter la concertation ou la participation…

À l’analyse, il faudrait plutôt parler d’une absorption de la thématique démocratique dans la problématique du « développement durable ». La dimension démocratique y est de plus en plus apparue réemballée dans le vocabulaire de la « gouvernance ». Au motif de mettre l’ensemble de la société sur la voie d’un « développement durable », le public s’est trouvé reconstruit en un ensemble de contributeurs, pouvant être enrôlé par une série de dispositifs allant des pratiques de concertation déjà connues jusqu’à des expériences de participation plus novatrices. Toute une série de discours, institutionnels mais aussi militants, à teneur fortement mobilisatrice, tend ainsi à construire une image du citoyen qui écoute ce qui lui est dit et qui tient compte de ce qui lui est conseillé. L’institutionnalisation de dispositifs participatifs, par exemple dans le cadre des « agendas 21 locaux », est aussi à interpréter par rapport à cet esprit qui imprègne de manière croissante l’action publique.

De fait, les espaces de discussion qui souvent prennent forme sous impulsion institutionnelle sont aussi des espaces dans lesquels sont tout aussi souvent mises en forme des prescriptions. C’est pourquoi il peut être délicat d’associer cette dynamique récente à une forme de démocratisation, dans la mesure où elle semble davantage aboutir à une utilisation tendancielle de la démocratie comme technologie de gouvernement. Ou alors, comme le spécialiste canadien de théorie politique Mark E. Warren, faudrait-il peut-être plutôt parler de « démocratisation fonctionnant à la gouvernance » (Cf. « Governance-Driven Democratization », article paru dans Critical Policy Analysis, vol. 3, n° 1, April 2009, et accessible en ligne dans une ancienne version), un processus par lequel la « démocratisation » résulterait davantage de la recherche par les responsables politiques et administratifs de manières plus efficaces de gouverner. Un tel alliage conceptuel peut susciter de profondes discussions, car participation et dialogue ne signifient pas forcément écoute, et l’engagement citoyen peut s’avérer au final limité.

Pour les curieux qui souhaiteraient des arguments plus développés, je renvoie à un article qui était paru dans la revue électronique Vertigo et qui fournira également des éléments plus empiriques : « Le “développement durable” appelle-t-il davantage de démocratie ? Quand le “développement durable” rencontre la “gouvernance”… », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 8, n° 2, octobre 2008, accessible en passant par ici.





La « consommation durable » comme gouvernementalisation de la consommation

7 12 2009

« Consommation durable », « consommation responsable », « consommation éthique », autant d’expressions qui signalent le développement de tentatives plus ou moins convaincues, plus ou moins sincères, pour réduire les à-côtés indésirables des activités de consommation (et sur de nombreux aspects, la conférence de Copenhague sur le changement climatique qui s’est ouverte cette semaine en est aussi un écho). La liste des griefs reliés à la consommation s’est en effet allongée : déchets en quantités croissantes, pressions sur l’environnement et certaines ressources, négligence des conditions de travail dans des pays exportateurs à bas coût de main d’œuvre… Devenus plus visibles, saisis comme objets de mobilisations, ces problèmes, notamment écologiques mais pas seulement, ont progressivement suscité une montée de réactions, diverses mais potentiellement convergentes, pour essayer d’y remédier.

Les enjeux affichés ne sont pas minimes et la manière dont ils sont socialement, institutionnellement et économiquement saisis encore moins. Il est donc loin d’être inutile d’examiner plus précisément la dynamique dans laquelle ces enjeux sont rentrés et les modalités par lesquels ils semblent commencer à être traités. D’autant que semblent se construire là des prescriptions fortes qui peuvent descendre jusqu’aux comportements les plus quotidiens.

Dans le sillage d’autres travaux sur l’institutionnalisation du « développement durable », c’est cet examen qu’il me paraissait important de faire et dont le résultat vient de paraître sous forme d’article dans la Revue française de science politique (volume 59, n° 5). L’article s’intitule « La « consommation durable » comme nouvelle phase d’une gouvernementalisation de la consommation », parce que je pense effectivement que se joue dans le processus engagé une forme renouvelée de gouvernement. Je reprends en fait ce dernier terme dans une perspective qui se rapproche de celle de Michel Foucault et qui se place en l’occurrence au croisement entre gouvernement des conduites et conduites de gouvernement.

L’argument de l’article est le suivant. La montée de la thématique environnementale et la mise en avant de l’objectif d’un « développement durable » ont contribué à nourrir un intérêt renouvelé pour la sphère de la consommation, pas seulement dans des organisations militantes ou chez certains publics préoccupés mais aussi du côté des institutions publiques. Au fil des années 1990 notamment s’est ainsi développée une nouvelle dimension du travail de régulation publique visant la partie la plus en aval des circuits économiques, précisément pour en éliminer les effets jugés négatifs et pouvoir la soumettre à des critères de « durabilité ». Les initiatives engagées peuvent toutefois amener à se poser des questions : elles ont en fait pris une orientation qui vise principalement la population, essentiellement considérée en tant qu’ensemble d’individus consommateurs. Ces derniers sont censés prendre conscience de leur part de responsabilité dans les pressions exercées sur les ressources et les milieux naturels et donc de la nécessité d’adapter leurs habitudes de consommation pour pouvoir améliorer la situation. Il faut aller au-delà de ce discours d’évidence, le décortiquer pour comprendre la dynamique qui se structure. L’article examine pour cela le cadre discursif et programmatique qui vient dans un même mouvement redéfinir à la fois les figures du consommateur et du citoyen pour parvenir à un individu pouvant être intéressé et mobilisé en faveur de prescriptions nouvelles. Pour pénétrer la rationalité des interventions et propositions élaborées dans ce sillage, il fallait aussi analyser les logiques à partir desquelles s’est installé un ensemble de stratégies tentant de conformer les actes de consommation à des exigences renouvelées. Ces analyses permettent de mieux saisir les dispositifs institutionnels privilégiés (communication en direction des consommateurs, labellisation…), notamment dans la mesure où ils apparaissent comme le résultat d’un espace des possibles contraint. Au final, j’essaye ainsi de montrer l’agencement de normes et de relais en train de se déployer, d’ailleurs tout en suscitant par la même occasion des points de tension.

C’est ce parcours qui me permet de conclure que la « consommation durable » peut être analysée comme une forme de gouvernementalisation de la consommation, avec des effets qui ont  de quoi susciter quelques lourdes interrogations.

 

Cette extension d’une logique de « développement durable » correspond effectivement aussi à un grand jeu de redistribution des responsabilités. La « consommation durable », telle qu’elle est actuellement promue, donne un contenu moral à des activités apparemment ordinaires et promeut plutôt les remises en question individuelles. Que visent en effet les démarches envisagées ? Presque une requalification de la manière dont la consommation peut prétendre apporter satisfaction des besoins et assouvissement des désirs. Consommer pourrait rester possible et cela pourrait se faire avec bonne conscience, pour peu que soient adoptées des attitudes « responsables » et des pratiques « durables ».

Ce discours de la « consommation durable » ne se confond pas avec une critique du consumérisme ; dans une certaine mesure, il la désamorce. La dynamique en cours peut même favoriser une dépolitisation des enjeux, dans le sens où accomplir des actes comme mettre une ampoule basse consommation ou trier ses déchets peut facilement être converti dans une forme de bonne conscience et aboutir au sentiment d’avoir apporté une contribution à la résolution des problèmes. La rhétorique des « petits gestes » mérite donc plus d’attention, car elle tend à faire peser sur l’individu les contraintes d’adaptation du système, en déplaçant le fardeau moral au détriment d’une réflexion (collective et pleinement politique) sur les grands choix, ceux qui justement structurent voire conditionnent ces mêmes activités de consommation.

L’article est accessible en ligne pour ceux qui peuvent passer par le portail cairn.





Mesurer le « développement durable » ?

16 09 2009

Comment être sûr que le « progrès » affiché en est vraiment un et ne se paye pas par divers désagréments ? C’est une des manières d’interpréter les travaux de la « Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi », à l’issue desquels un rapport « sur la mesure des performances économiques et du progrès social » a été remis au Président de la République le 14 septembre dernier. Ces travaux donnent une forme de consécration institutionnelle aux interrogations montantes sur les manières de mesurer la « richesse » et sur les biais induits par la focalisation sur le PIB (produit intérieur brut). De fait, le PIB n’est pas le seul indicateur possible et les initiatives se sont multipliées pour essayer de trouver d’autres solutions de mesure moins unilatérales.

La montée de la problématique du « développement durable » a aussi engendré son lot d’indicateurs essayant de donner une incarnation chiffrée à cette perspective censée être plus attentive aux limites écologiques de la planète. L’enjeu est aussi de connaître l’état du monde et de vérifier qu’il s’achemine vers le mieux. Hasard de l’actualité, ce type de question est l’objet d’un article que j’avais rédigé il y a quelques mois et qui vient de paraître dans la revue Histoire et mesure (vol. XXIV, n° 1, 2009). L’idée de l’article était d’éclairer et d’analyser dans quelles dynamiques et logiques se trouvent les dispositifs de mesure par lesquels les systèmes de gouvernement appréhendent un monde censé évoluer vers la « durabilité ».

La question de la mesure n’est jamais réductible à une simple question technique : elle est éminemment politique. À nouveau, il n’est pas anodin que la « Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi » (comme d’autres d’ailleurs) soit ultra-majoritairement composée d’économistes (avec très peu de femmes de surcroît). Sont en effet en jeu des visions du monde et il est plus qu’utile de regarder avec attention comment les principales visions sont construites et légitimées. Les instruments qui visent à connaître le monde, notamment ceux qui passent par la mesure et la quantification, ne sont jamais neutres et il vaut mieux savoir les intentions et les valeurs qui les sous-tendent, les représentations qu’ils véhiculent, les utilisations dans lesquelles ils rentrent.

L’article mentionné, intitulé « Mesurer le « développement durable » pour aider à le réaliser ? La mise en indicateurs entre appareillage de connaissance et technologie d’accompagnement du changement », peut être récupéré ici ou ici.