Que faire de la science fiction ? (Conclusion provisoire)

18 07 2009

Ni comme une prédiction, ni comme une divagation, mais comme une exploration : voilà comment peut être abordée la science-fiction si on la prend au sérieux et qu’on considère qu’elle peut devenir porteuse de réflexivité collective. Des enjeux potentiellement nouveaux peuvent réclamer des modalités de réflexion renouvelées. Les récits de science-fiction peuvent trouver là une utilité comme matière à penser. Les conjectures offertes peuvent aider à l’interprétation de questions politiques, culturelles, philosophiques, etc., en fournissant des formes d’expérimentations mentales pouvant être introduites dans les réflexions et raisonnements.

Utiliser l’opération fictionnelle permet en effet d’entrer dans des espaces de pensée moins contraints (ou en tout cas qui n’ont pas les mêmes contraintes que des espaces plus académiques). Dans un contexte aux évolutions incertaines, le recours à la science-fiction peut faciliter un effort de construction théorique. Et un tel effort a aussi sa valeur, comme le soutiennent d’une autre manière mais avec force Ash Amin et Nigel Thrift : « Theory is about building better questions which can reveal aspects of the world that have hitherto been neglected or unimagined »[1]. Il ne s’agit pas de dénier tout crédit à la recherche empirique, puisque la démarche intellectuelle esquissée dans ce texte est en fait différente. Ce qui importe n’est ici pas tellement la falsifiabilité des hypothèses travaillées[2], mais plutôt leur caractère plausible et surtout heuristique. Les récits de science-fiction ne sont donc pas à prendre comme des tentatives pour prédire ou annoncer quoi que ce soit (même si certains ont parfois cette ambition), mais comme des dispositifs permettant de mettre à l’épreuve des éléments de futurs possibles.

L’exercice est ambigu, puisqu’il est à la frontière : on sait qu’il y a une part d’imaginaire, mais aussi une part de possible. C’est ce qui peut rendre un tel exercice malgré tout utile : en préparant la réflexion, il peut éviter d’arriver désorienté devant des situations problématiques (comme si elles arrivaient par surprise). De plus, cette préparation peut aussi permettre de se donner plus facilement des critères de choix. Les hypothèses fictionnelles peuvent aider à ouvrir des espaces de débat et ainsi à construire ou restaurer une forme de responsabilité collective à l’égard de ce qui n’est pas encore advenu mais qui pourrait constituer le futur.


[1] Ash Amin, Nigel Thrift, « What’s Left? Just the Future », Antipode, vol. 37, n° 2, 2005, p. 222.

[2] Censée garantir la scientificité d’une démarche, si on l’on suit la perspective de Karl R. Popper. Cf. La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, rééd. 1995.

 

* * *

Fin (probablement provisoire) de ces réflexions qui seront présentées la semaine prochaine au colloque « Comment rêver la science-fiction à présent ? » à Cerisy-la-Salle.

Pour une lecture plus facile et pour ceux que le sujet intéresse, j’ai rassemblé le tout en un seul document qui pourra servir par la même occasion de base de discussion. Le texte complet est donc disponible ici.

Les commentaires sont bien entendu les bienvenus.


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6 responses

20 07 2009
christiangatard

merci Yannick
je suis bien d’accord.
Envoyez moi un lien que je puisse vous inviter au lancement de mon bouquin (15 septembre, 66 rue des archives à Paris, 18h30)
amitiés
Christian Gatard

3 08 2009
stephane

N’oublions pas que la science-fiction a parfois un but critique. Les auteurs écrivent aussi ce qu’ils ne voudraient surtout pas voir arriver !

Elle peut aussi être poésie, alors ses liens avec la réalité sont vagues !

Je pense aussi que pour l’auteur, elle est le reflet d’un instant, d’un temps de vie et de ses contraintes, de réflexions particulières valables à l’époque où le texte est écrit.

Pour le lecteur, la dimension est différente, il s’agit souvent d’évasion, ou d’un besoin de réfléchir.

Sans compter tous les genres différents qui existent !

Beaucoup de choses peuvent être dites !

Bravo pour votre colloque !

10 10 2009
Manuel Ruiz

Bonjour.

Comme l’indique fort justement le titre, toutes les conclusions sur la SF (ou le Fantastique, ou la Fantasy) ne peuvent être que provisoires, puisque ce genre est en mouvement constant. Les scénarios de SF en 1969 n’avaient que peu de rapports avec ce qu’ils sont aujourd’hui ! Plus que les auteurs, c’est d’ailleurs le public qui change la SF en y projetant les interrogations de chaque époque.

Je dirais que la SF dépasse ses propres auteurs. Par exemple, le grand Asimov ne croyait pas lui-même que ses romans pourraient se réaliser, et pourtant ses prédictions sur les robots deviennent peu à peu une réalité. Le genre dépasse ceux qui le font.

27 08 2010
Matt

Je viens de lire le PDF, c’est vraiment génial !
Exactement ce qu’il me faut pour me motiver.
Merci beaucoup !
(Je télécharge votre pdf)
Je reviendrai voir votre blog si j’arrive à transférer mon idée sur papier !

Petite précision pour la partie concernant « Fondation » :
Lorsqu’un voyage quitte le système stellaire il est plus précis de parler de voyage « interstellaire », le voyage « interplanétaire » pouvant rester au sein d’un système. On oublie les systèmes doubles c’est plus simple 🙂 .

Ah aussi :
« Ce serait aussi croire que ces écrits n’ont d’autre ambition que celle de l’imaginaire. »
La motivation est plus politique que artistique, c’est vrai pour moi.

28 08 2010
yrumpala

Merci pour la précision.

20 08 2011
zelectron

Le Sceptre du hasard – Gilles d’ ARGYRE (Gérard KLEIN)
– désignation d’un « stochaste » qui au début résiste puis succombe (mais avec succès)

Le rasoir d’Occam – David Duncan
– un produit quasi inusable qui rencontre un succès qui dépasse son initiateur …

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