Conclusion : Conditions de libération des potentialités technologiques et devenir politique de l’impression 3D

28 09 2012

Suite et fin de la série de billets qui a tenté de proposer un regard politique sur les imprimantes 3D. À quelques ajustements près toujours possibles, c’est cet ensemble qui devrait donc être présenté le mois prochain à la conférence internationale « Materialism and World Politics ».

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Les imprimantes 3D sont une preuve par l’exemple qu’il est possible de produire autrement. Autrement que de manière massive, centralisée, standardisée. Bien sûr, cette technologie n’est pas encore à un stade abouti, mais ce serait dommage de l’ignorer sous le prétexte de son devenir incertain, car elle pourrait bien avoir des effets à une plus large échelle que celle des expériences et bricolages dans lesquels paraissent pour l’instant encore largement ses concepteurs et ses utilisateurs. Les potentialités envisageables sont d’autant plus stimulantes à analyser qu’elles ravivent les questionnements sur les interrelations entre le technique et le politique, notamment sur la façon dont des avancées techniques peuvent étendre des capacités politiques.

Certes, les potentialités offertes ne sont pas encore actualisées, mais des trajectoires intéressantes sont discernables. En se développant, la technologie de l’impression 3D tend aussi à diffuser des valeurs, qui permettent effectivement, comme on l’a vu, de rallier une communauté. Ces valeurs contribuent à mettre en avant la créativité et la capacité à faire soi-même. Ces nouveaux outils semblent amener de nouveaux modes de production et consommation, et donc potentiellement des rapports différents aux marchandises. Le changement envisageable ne serait pas impulsé « par le haut », mais de manière diffuse, la technologie rendant possible de nouvelles pratiques qui, en se généralisant, pourraient elles-mêmes avoir des effets systémiques.

Ces effets sont politiques, même s’ils partent de la vie ordinaire des individus et des évolutions qui y sont rendues possibles. Ce type d’outil est de nature à déstabiliser la valeur travail qui a accompagné le développement de la société industrielle. Si la consommation se reporte vers une autoproduction, cela peut inciter un certain nombre d’individus à réduire le niveau de revenu recherché, a fortiori dans un contexte économique où l’obtention d’un emploi stable et rémunérateur devient plus difficile. Cela pourrait même aller jusqu’à toucher le marché du travail qui pourrait alors entrer dans une phase de transition. De fait, les besoins en main d’œuvre ne seraient plus les mêmes, spécialement dans les industries manufacturières qui perdraient leurs débouchés et donc leur raison d’être[1]. Et au plan individuel, si chacun peut se fabriquer ses propres objets, cela peut réduire la nécessité d’avoir un emploi salarié à temps plein. On assisterait alors à une désintensification des activités marchandes et à une redistribution des flux monétaires, voire au tarissement de certains.

La diffusion de cette technologie passera toutefois par des phases d’expérimentation avant d’être éventuellement appropriée par les utilisateurs. Les potentialités que paraît promettre une technologie peuvent ne pas être toutes réalisées, ou pas complètement, ou alors se révéler dans des temporalités plus ou moins longues. Qu’elle devienne accessible ne signifie pas forcément qu’elle sera intégrée dans des pratiques courantes au point de faire partie des évidences quotidiennes (notamment pour les plus démunis).

L’infrastructure économique peut aussi ne subir que des évolutions partielles. Les imprimantes sur papier n’ont pas fait disparaître les livres et les éditeurs. Une technologie peut aussi être ressaisie par des acteurs économiques puissants qui peuvent s’en servir pour adapter des dynamiques évolutives à leur profit. Il est aussi possible d’imaginer que l’impression 3D soit vue par certaines entreprises comme un moyen de gagner encore plus de flexibilité dans leur processus productif, en mettant en place de nouvelles formes de sous-traitance.

La place de cette technologie se jugera surtout à la façon dont elle va s’interposer dans le rapport de la vie humaine aux choses. Dans un monde saturé par les objets, ce qui compte en définitive n’est pas seulement la manière de fabriquer, mais aussi les artefacts qui sont mis au monde, leur nature, leur quantité, les intentions qui les ont portés, les désirs qu’ils rencontrent… L’impression tridimensionnelle n’est qu’un moyen qui semble laisser indéterminée la question de l’utilité de ce qui va être produit avec, glissant finalement sur l’ontologie des objets.


[1] Certains journaux économiques vont jusqu’à esquisser une forme de vision enchantée s’agissant de l’emploi, avec un déplacement du travail vers des emplois plus qualifiés, comme dans cette description : « Most jobs will not be on the factory floor but in the offices nearby, which will be full of designers, engineers, IT specialists, logistics experts, marketing staff and other professionals. The manufacturing jobs of the future will require more skills. Many dull, repetitive tasks will become obsolete: you no longer need riveters when a product has no rivets » (« The third industrial revolution: The digitisation of manufacturing will transform the way goods are made—and change the politics of jobs too », The Economist, April 21st 2012, http://www.economist.com/node/21553017)


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