Penser l’avenir écologique avec la science-fiction

13 09 2013

Anthropocène. Un mot dont on va probablement entendre de plus en plus parler. Le terme, qui déborde maintenant les milieux scientifiques qui l’ont promu, est censé signaler l’entrée récente (à l’échelle temporelle de la planète) dans une ère géologique nouvelle, où l’espèce humaine est devenue une force capable d’altérer l’ensemble du système terrestre. Et, au surplus, à un rythme qui paraît sans précédent dans le déroulement des temps géologiques. Peut-être même vers un basculement irrémédiable, comme le craignent les spécialistes qui étudient ces processus (par exemple dans un article collectif de la revue Nature qui avait fait débat après sa sortie : « Approaching a state shift in Earth’s biosphere », Nature, vol. 486, 07 June 2012, pp. 52–58).

7 secondes pour devenir un aigleComment penser les enjeux liés à l’entrée dans cette nouvelle ère ? Comme pour d’autres enjeux collectifs ayant des résonances politiques, je défends l’idée que la science-fiction peut y aider. Autrement dit, elle peut aussi être un moyen de penser les conditions de l’habitabilité terrestre et la responsabilité de l’espèce humaine dans le devenir écologique de la planète. J’ai essayé de le montrer dans un texte (intitulé « Et la science-fiction entra elle aussi dans l’anthropocène… ») qui vient de sortir en postface à Sept secondes pour devenir un aigle, recueil de nouvelles de Thomas Day aux Éditions du Bélial. La démonstration du texte est effectivement sous-tendue par une hypothèse forte : pour toutes les œuvres à venir qui prétendront représenter le devenir de l’humanité, les environnements, les milieux écologiques, les substrats biologiques ne pourront plus être un simple décor. J’en profite d’ailleurs pour conseiller le recueil lui-même, qui est le produit d’un auteur vraiment original dans la science-fiction française (et plusieurs fois primé pour cela). Une novella du recueil (« Ethologie-du-tigre ») est en accès gratuit jusqu’à la fin du mois pour en juger. Les Éditions du Bélial sont au surplus une maison indépendante qui essaye de faire un travail de qualité et qui mérite d’être soutenue pour cela.

Pour ce qui touche l’avenir de la Terre, la science-fiction semble être devenue majoritairement pessimiste ou alarmiste. Il reste néanmoins quelques parcelles qui maintiennent quelques formes d’espérances. C’est aussi ce que j’essaierai de montrer prochainement lors d’une journée d’étude sur l’utopie (la deuxième d’une série sur « Les lieux du non-lieu ») organisée le 19 septembre par le Centre de sociologie des pratiques et des représentations politiques de l’Université Paris 7. D’où le titre de cette présentation à venir : « Penser les espérances écologiques avec la science-fiction » (dont le texte sera, comme d’autres, mis dans la rubrique Communications).

affiche_utopiales 2013Qui dit science-fiction et utopies dit forcément aussi Utopiales, célèbre festival international de science-fiction qui se déroule chaque année à Nantes.  Cette année, les « Autre(s) monde(s) » sont le thème de la 14e édition. Une autre occasion de revenir sur ces thématiques écologiques, puisque je serai modérateur sur différentes tables rondes. Une première, le samedi 2 novembre, posera la question d’« un nouveau contrat social entre la planète et l’humanité », avec Andreas Eschbach (l’auteur d’En panne sèche, le récit d’un monde devant faire face à la raréfaction des ressources pétrolières), Jeanne-A Debats, Thomas Day (déjà présenté) et Jean-Pierre Andrevon (l’auteur de l’émouvant Le monde enfin). Une autre, le dimanche 3 novembre, portera sur « L’écologie globale dans la science-fiction », avec les auteurs Danielle Martinigol, Claude Ecken, Jean-Marc Ligny. Des œuvres magistrales comme Dune de Frank Herbert viennent à l’esprit, mais d’autres seront à évoquer.

Dans une autre session le vendredi 1er novembre, je discuterai avec l’architecte belge Vincent Callebaut sur les « utopies vertes » (on peut aussi l’écouter défendre sa vision ici en podcast). L’affiche du festival reprend un des ses projets, Hydrogenase, espèce de gros aéronef multifonctions et autosuffisant en énergie (grâce à du « bio-hydrogène » produit à partir de micro-algues). Une autre des utopies architecturales qui l’a fait connaître est Dragonfly, projet de ferme verticale, à la fois lieu de vie et lieu de production censé aider à nourrir une ville en rassemblant culture et élevage dans un même immeuble. Une espèce d’alliance donc entre la recherche d’un urbanisme « durable » et les promesses supposées des « nouvelles technologies ». Et presque l’inversion d’une ancienne utopie : mettre en quelque sorte cette fois-ci la campagne dans la ville. Mais dans une forme technologisée qui ne va pas sans questions : ce sera probablement l’un des points de la discussion.

Pour rester dans les enjeux éthiques et politiques à venir, j’interviendrai dans deux autres tables rondes le samedi 2 novembre. L’une (avec les auteurs Thierry Di Rollo, Philippe Squarzoni, Jean-Marc Ligny) traitera du « totalitarisme écologique », terme fort et provocateur, et ce sera peut-être l’occasion de sortir des radotages des Pascal Bruckner et consorts pour passer à des analyses moins réductrices et moins grossières (par exemple en s’intéressant plutôt aux processus de gouvernementalisation). L’autre aura pour thème « Ressources limitées et démocraties » (avec Gérard Klein et Alain Damasio) et fera probablement écho à la précédente : comment les contraintes qui s’annoncent vont-elles pouvoir être gérées collectivement, sans recréer de nouvelles formes d’inégalités et de domination ?

Et il y aura aussi une occasion de reparler de la Culture de Iain M. Banks dans une table ronde le jeudi 31 octobre, davantage cette fois sous l’angle de l’utopie technologique. Difficile en effet de ne pas consacrer une forme d’hommage à son œuvre après son décès il y a quelques mois.

Si, après tout ça, je n’arrive pas à convaincre de l’intérêt potentiel de la science-fiction pour penser les questions écologiques, je ne sais pas ce qu’il faudra faire de plus…


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3 responses

13 09 2013
zelectron

A l’évidence la SF est une des clés de la raison écologique sans qu’il soit besoin d’appartenir à quelle qu’école de pensée aussi rigide que celles d’aujourd’hui. L’écologie transcende tous les partis !
En aparté, on peut être « nucléariste » et en même temps militer contre les OGM ou le tri sélectif ou bien être contre le photovoltaïque et pour le thermosolaire … bien sûr contre les éoliennes et pour la géothermique 🙂

13 09 2013
Yannick Rumpala

A supposer que les partis soient encore utiles…

13 09 2013
zelectron

parfaitement de votre avis

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