Sur les sources et appuis du scepticisme environnemental

19 11 2008

Si les questions d’environnement ont gagné en audience, elles restent un terrain de controverses et de luttes. Mais ce qui est aussi intéressant à noter, c’est que le scepticisme à l’égard de ces questions est aussi devenu un créneau éditorial et médiatique à part entière, avec ses figures toujours prêtes à faire valoir leurs arguments (le lecteur français familier de ces sujets trouvera facilement quelques noms).

Des chercheurs américains ont entrepris de faire une revue de cette littérature dans sa version anglophone, avec un échantillon d’ouvrages publiés sur une durée de 30 ans. Ces chercheurs (Peter J. Jacques, Riley E. Dunlap, Mark Freeman) ont publié récemment le résultat de leur étude (Cf. « The organisation of denial: Conservative think tanks and environmental scepticism », Environmental Politics, vol. 17, n° 3, June 2008, pp. 349-385) et ils ont remarqué que la très grande majorité de ces « sceptiques », tout en étant le plus souvent supposés indépendants par les médias généralistes, avaient en fait un lien plus ou moins direct avec des think tanks conservateurs. Et pourtant, ces critiques engagés ont pu s’afficher comme des analystes impartiaux, censés combattre des résultats scientifiques jugés biaisés, alors que leurs positions faisaient souvent écho à des campagnes financées par des lobbies industriels. Cette tactique a eu des effets repérables dans la structuration des débats sur les questions d’environnement aux Etats-Unis, notamment de manière symptomatique dans le cas du changement climatique.

Ceux qui lisent l’anglais peuvent trouver l’article en accès libre.

A ma connaissance, il n’y a pas encore d’enquête de ce type en France.


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8 responses

20 11 2008
bouillaud

Effectivement, il n’existe pas ce genre d’études en France, mais cela correspond aussi au fait qu’il existe finalement peu d’études sur l’action et le fonctionnement des groupes d’intérêts « conservateurs » en France dans quelque domaine que ce soit. Cela tient sans doute au fait que, vu la taille de notre pays, et la circulation des élites entre grandes entreprises et Etat, chaque grande entreprise mène sa propre politique (discrète) d’influence. Du coup, on a énormèment de travaux sur les « mouvements sociaux » de toute nature, tous plus marginaux les uns que les autres, mais même sur le monde patronal classique, les travaux ne sont pas légion et n’offrent guère de carrière académique brillante à ceux qui les font.

En même temps, pour parler d’un cas comme Claude Allègre, il peut tenir à la fois à une position dominée dans le « champ scientifique », au caractère histrionique du personnage, et effectivement à l’acceptation d’une idéologie libérale (comme dans la vision des Universités qui se déploie aujourd’hui), qui trouble la vue puisqu’il s’agit d’un ancien proche du « trotskiste » Jospin.

20 11 2008
yrumpala

Exact, mais je pense qu’au-delà des lobbyistes de service (le président de la Fédération française des automobiles clubs et des usagers de la route Christian Gérondeau, etc.) et de leurs stratégies, il y aurait aussi des aspects à creuser sur l’espace et l’audience médiatiques que semblent facilement trouver certaines individualités comme actuellement Jean-Marc Fedida (Cf. Impasses de Grenelle. De la perversité écologiste, Ramsay, 2008) malgré le (ou probablement grâce au) caractère rapidement outrancier de leur argumentation. Ce qui renvoie alors aux logiques du « champ médiatique », aux formes de compétition discursive, etc.

2 08 2009
Savants Américains Point Com

Bonjour. Nous comprenons bien le point de vue qui a motivé cette étude mais il nous semble relever de la désinformation, car on vient enfin de démontrer que l’écologie, c’était pour les gogos. En effet, le roi est nu ainsi que l’ont prouvé Le Figaro puis notre prestigieuse revue. Je pense que certains y réfléchiront à deux fois avant de troquer leur Hummer pour un vélib !

2 08 2009
yrumpala

Démonstration d’autant plus implacable en effet qu’elle est défendue de manière très drôle…
Merci notamment pour le deuxième renvoi très amusant.
J’aime beaucoup le site pastiche et cette « prestigieuse revue » qui fait référence à une étude parue dans le non moins prestigieux American Journal of Hummer Cars.

2 08 2009
Savants Américains Point Com

C’est toujours un peu pareil, le public préfère la vulgarisation de ça m’intéresse, de science et vie, de closer et de nature à la lecture certes ardues mais tout à fait passionnante de l’American Journal of Hummer Cars.

3 04 2010
CABON Mikaël

Ce type d’enquête serait pourtant intéressant pour mesurer la sincérité de chacune des parties sur le sujet.
http://www.lobbycratie.fr/2010/03/30/ecologie-le-poids-des-lobbies-dans-la-suppression-de-la-%C2%AB-taxe-carbone-%C2%BB/

25 05 2010
chatonnet

Magnifique article, très concis ! M’autorisez-vous à la publier sur Carfree ? Ou bien voudriez-vous le publier vous-même ? C’est très facile !

un chatonnet à clochette

25 05 2010
yrumpala

Pas de problème pour le reprendre.
J’en profite pour signaler qu’un des auteurs vient de sortir un autre article intéressant, dans une veine similaire :
Aaron M. McCright, Riley E. Dunlap, « Anti-reflexivity. The American Conservative Movement’s Success in Undermining Climate Science and Policy », Theory, Culture & Society, vol. 27, n° 2-3, 2010.
L’article fait partie d’un très riche numéro spécial de la revue Theory, Culture & Society sur les changements climatiques, avec quelques grandes pointures de la sociologie. Pour ceux qui n’y auraient pas accès, mais qui lisent l’anglais, il y a aussi en ligne quelques bonus.

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