Changement d’époque ?

15 10 2008

C’est la question qui tend souvent à émerger de l’écume médiatique à propos de la « crise financière » actuelle. Certains commentateurs annoncent ou espèrent une évolution fondamentale du « capitalisme ». Comme si l’ordre idéologique jusque-là dominant allait pouvoir être remis en cause… Et si se confirmait plutôt un agencement qu’avait déjà signalé le philosophe allemand Jürgen HABERMAS et qu’il avait essayé d’analyser : celui de l’entrée de l’économie capitaliste et de l’Etat « dans un rapport de complémentarité fonctionnelle et de stabilisation mutuelle » (Cf. Théorie de l’agir communicationnel, Tome 2, Fayard, 1987, p. 348 et passim) ? À bien y regarder, la tendance resterait donc en fait à l’imbrication croissante d’un véritable complexe institutionnel, comme le montrent les « plans de sauvetage » mis en place (au demeurant assortis de conditions relativement faibles en direction des opérateurs financiers privés). Ce complexe institutionnel a peut-être subi une forte secousse, mais dévie-t-il pour autant de l’orientation profonde engagée auparavant ?

À un autre niveau d’analyse, ce que l’épisode révèle aussi un peu plus, c’est que les catégories d’« Etat » et de « marché » ne sont probablement plus pertinentes, a fortiori dans la traditionnelle opposition qui les met couramment en scène. Ce qui veut dire par la même occasion qu’il y aurait une importante réflexion à poursuivre sur la reconfiguration du « politique », catégorie qui pour le coup mériterait peut-être elle-même d’être également retravaillée. Et puis resterait enfin une lourde question pour remonter à la racine de cette « crise financière » : pourquoi les exigences de rentabilité financière se sont-elles dramatiquement durcies dans les deux dernières décennies ?


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3 responses

16 09 2010
jsr

Très pertinent Yannick. La question du rôle de l’Etat se pose en effet étant donnée l’intrication complexe entre Etats et marchés – menant d’ailleurs à une privatisation toujours plus grande de services considérés comme publics il n’y a encore pas si longtemps (prisons, services de santé et sociaux, armées et services de renseignement, etc). Cependant, cette interdépendance n’exclut pas l’existence d’intérêts contradictoires, comme les récentes pressions des marchés financiers sur différents pays l’ont mis en évidence (France S.A.R.L. et USA Inc. n’existent pas encore…). En effet et si Etats et marchés cherchent à tirer un maximum d’avantages les uns des autres, je ne doute pas que, pour survivre, ils n’hésiteront pas à se neutraliser.

En ce qui concerne le « changement d’époque », le néoliberalisme vit des secousses systémiques, mais, je l’admets, il n’est pas encore mort. Cependant, et au vu de ses excès, je pense qu’il est sage de poser les fondements d’une nouvelle théorie économique, et d’une nouvelle organisation sociale. En espérant, ce faisant, que cela devienne une prophétie auto-réalisatrice…

jsr – makingsenseofthings.info

16 09 2010
yrumpala

J’aurais effectivement dû préciser qu’il faut ensuite pousser l’analyse au niveau des acteurs concrets, et donc au niveau des luttes et arrangements qui peuvent se manifester.
L’épisode que nous vivons a peut-être d’ailleurs non seulement révélé le rôle des agences de notation, mais aussi le fait que les Etats deviennent des marques dans un jeu où la compétition se fait également autour de la réputation (ce qui inviterait à prolonger la réflexion de Peter van Ham, par exemple « The Rise of the Brand State: The Postmodern Politics of Image and Reputation », Foreign Affairs, vol. 80, n° 5, September-October 2001).
S’agissant des idées de la dernière remarque, cela devrait faire partie de mes prochaines recherches.

16 09 2010
jsr

Intéressant ton point sur les ‘marques », je n’y avais jamais pensé, ni ne connaissais l’article de van Ham – merci.
Suis preneur de tes réflexions futures sur le ‘changement d’époque’. Si en attendant, tu as d’autres lectures sur ce sujet à me conseiller, je suis preneur.

jsr – makingsenseofthings.info

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